une installation et des interrogations L'espace La Baignoire, sis square Port Saïd, accueille actuellement l'exposition du jeune artiste Oussama Tabti et cela jusqu'au 25 mars. Parmi ses oeuvres, Oussama Tabti nous propose sa vision du monde. Celle d'un jeune homme né à Alger en 1988, qui porte un regard critique sur une géopolitique hermétique, faite de frontières infranchissables et de cultures qui se recroquevillent sur elles-mêmes», explique le propriétaire de l'espace, Samir Toumi, qui est auteur aussi de deux romans. Cette exposition placée sous le générique «Ici, ailleurs, les maux» se déploie sur plusieurs niveaux. Elle se veut éclectique autant par les thèmes abordés que les formes usitées. Il n'y a pas de thème précis à proprement parler. Cette exposition se présente comme un patchwork épars de sous-thèmes même si elle suggère des ponts entre eux. Plus ou moins intéressantes, certaines oeuvres dévoilées donnent véritablement du sens quand d'autres paraissent plus banales à côté. On pourrait commencer par ces derniers: des photographies de stations d'essence. A noter que l'artiste prend le visiteur par la main durant toute l'expo. L'explication de son oeuvre est collée à même la vitre-porte dudit lieu. Le visiteur n'a pas trop le choix à la réflexion. Aussi, pour l'artiste, au-delà du symbole (pétrole) que peuvent revêtir ces stations d'essence, ces lieux abandonnés «montrent des cadavres économiques» que les médias recasent à chaque fois qu'il y a une guerre dans les pays arabes. Samir Toumi nous a prévenus dans son texte de présentation «Oussama Tabti nous livre des analyses». Ça reste subjectif bien sûr et notamment sur le système éducatif dans lequel il a grandi. Pour ce faire, il nous propose un grand tableau ordinaire que l'on a tous connu à l'école et sur lequel il a inscrit «Listen and repeat». L'artiste avance aussi ce postulat: «Où que l'on vive, quoi que l'on fasse, le monde reste fermé, les préjugés demeurent, et l'abrutissement des masses, s'il revêt d'autres formes, est plus en marche que jamais. Toujours indécents, les maux du monde s'exhibent à nous, et nous rattrapent, où que l'on aille.» Deux installations sont à retenir en tout cas. Celle qui nous retiendront l'attention et qu'on trouve les plus réussies dans ce fatras de propositions artistiques. Il y a d'abord The Amsterdam Treaty. Celle-ci se veut une métaphore en fait sur la proposition de rejet de l'Union européenne envers les immigrés. Pour ce faire, l'artiste a su dans ce cas précis déployer son ingéniosité pour exprimer cette idée d'une façon bien originale. Aussi, l'installation redessine le drapeau de l'Union européenne avec les pics anti-pigeons qui hérissent les pointes des étoiles dudit drapeau rappelant la dureté du système anti-immigration. L'autre installation met en avant trois téléviseurs censés représenter les trois parties importantes de l'histoire de notre pays (précoloniale, coloniale et post-coloniale). Si la première et la dernière ne sont représentées que par la mire, celle du centre est aux yeux de l'artiste la plus importante du fait de sa place dans les manuels scolaires, télé et autres médias dit-on car étant celle de la guerre contre le colonialisme français. Une autre installation par contre semble un peu farfelue et somme toute contradictoire à notre sens. Ou pas... Elle est inspirée d'un tableau d'Etienne Dinet réalisé en 1901 et intitulé «tête d'Arabe, au-delà de l'image». Détournant cette image représentant un paysan arabe anonyme, l'artiste a voulu faire la jonction avec d'autres têtes arabes plus contemporaines qui font plutôt la Une des magazines d'information (pas people donc). Oussama a pris donc ces Unes et les a placées dans des cadres dorés assez kitch. Par ce procédé Oussama Tabti établit un drôle de parallèle historique et conclu avec facilité: «L'Arabe est toujours exhibé comme une curiosité.» Or, là ou le bât blesse c'est que l'Arabe d'Etienne Dinet n'est pas vraiment celui des magazines d'information. Si le premier est un Arabe lambda sans nom comme l'est celui de Camus, la présence de ceux qui font la Une de ces journaux se justifie amplement par l'actualité dramatique qui secoue ce même Monde arabe. ce sont des présidents connus et loin d'être des pauvres anonymes colonisés. Une question s'impose donc, de qui parmi les médias ou l'artiste qui porte un regard plutôt «orientaliste» sur l'autre? La perception de l'artiste relève-t-elle du second degré ou pense-t-il réellement que l'intérêt des médias à l'information relève de la simple «curiosité» ordinaire? L'artiste s'est-il réellement libéré lui -même de ces préjugés qui nous entoure ou est-il tombé lui-même dans ce piège? Qu'en est-il alors des autres têtes comme Poutine et Obama pour ne citer qu'eux, qui font aussi les Unes des journaux? Peut-on les mettre sur le même pied de considération ethnocentriste que ces pseudos «têtes d'Arabes»? Pourquoi devrions-nous assimiler forcément ces Unes de journaux à la tête d'Arabe d'Etienne Dinet même si effectivement beaucoup de télés et médias continuent à faire dans le sensationnel? Et l'intégrité professionnelle là-dedans? Il est clair que certains mass medias en rajoutent pour faire gonfler l'audimat, mais cette «curiosité» s'applique-t-elle réellement à tout le monde à partir du moment où il existe «une tête arabe»? Quel sens l'artiste donne-t-il au mot «curiosité»? La question reste posée. Enfin, une autre installation rend hommage à Mohamed El Badji qui, pendant son incarcération en prison, avait pris pour habitude de faire la prière pour ses codétenus. L'installation sonore en question intitulée à juste titre Meknine Ezzine, illustre cette chanson en donnant à voir un mégaphone lié à une branche d'arbre. Pour info cette expo est visible jusqu'au 25 mars.