Le schéma des responsabilités se perd en des considérations généalogiques, métaphysiques même. Qu'en reste-t-il ? Mille morts. Et après ? C'est une question technique : juste des retenues artificielles qui, n'ayant pu contenir la fantastique énergie des flots boueux, ont causé la mort de plus de 700 personnes, plus d'une centaine de disparus, des milliers de sinistrés, cent dix milliards au téléthon, Volcano avec Tommy Lee Jones en prime time sur l'ENTV, mais surtout cet état de choc d'une capitale qui se réveille face à l'extraordinaire étendue de ses précarités. Plus de 1.000 familles sinistrées viennent rappeler au gouvernement, aux parlementaires et aux élus APC et APW, que pendant plus de dix ans, les rapports établis par les pompiers et autres experts de l'urbanisme ont été ignorés par l'administration. Les images de cette vague de boue n'ont ému aucun des walis successifs d'Alger dont chacun rejetait la responsabilité sur son prédécesseur quand il n'ajournait pas tout simplement le problème en l'offrant, en héritage empoisonné, à son remplaçant. Le schéma des responsabilités se perd en des considérations généalogiques, métaphysiques même. Trop vite, le discours officiel, relayé et appuyé par les appareils d'information de l'Etat, a focalisé l'attention de l'opinion sur les opérations de relogement et les convois de dons escortés de Bab-Ezzouar jusqu'aux centres de distribution. Le reste, c'est-à-dire, exactement ce que les autorités ne veulent pas, ne veulent plus, assumer, assurer leur responsabilité est occulté. Trop vite, le débat sur les dysfonctionnements du réseau d'assainissement des eaux d'Alger est évacué. «Aucun véritable programme d'entretien n'a été réalisé depuis l'indépendance», lit-on dans un rapport de l'entreprise d'assainissement d'Alger. «Fissures, fractures et cassures longitudinales et transversales au niveau des voûtes, effondrement et déstabilisation de certains ouvrages, rétrécissement de la section interne, dépôt de produits solides (carcasses de réfrigérateurs, pneus, etc.)», ajoute le même document. Sans commentaires. Bien sûr ! C'est la faute à celui qui a accepté d'habiter un gourbi pendant 40 ans et d'endurer, lui et ses enfants, les maladies, les rats, les égouts qui éclatent et les lendemains qui lui crachent à la gueule. C'est la faute à celui qui, faute de bénéficier d'un logement après les séismes de 1989, de 1988, de 1980, de 1954, etc., a préféré rester pourrir chez lui dans une bâtisse menaçant l'effondrement à chaque éternuement. C'est la faute à ceux qui se sont entassés dans des minibus entre Chevalley et Triolet. C'est la faute aux élèves rejoignant, à grandes enjambées, leurs écoles. C'est la faute à celui-là qui habite, tout simplement, Bab El-Oued depuis qu'il ne s'en souvient même pas. C'est la faute à Rachid, Nadia, Mohamed, Ammi Arezki, Hassen, Nora, Fatma, et puis aux petits, Rassim, Tahar, Nawel et aux autres ici dont les noms s'affichent sur les listes des morgues et des commissariats de police. Morts, enterrés vivants, disparus ou broyés. Tant de morts et de destruction, pourquoi? «On ne peut rien contre une catastrophe nationale», ne cessent de marteler les «experts», il vaudrait mieux le croire.... Sur un autre plan, il faut vite faire oublier ces sinistrés, qui, parce qu'ils sont issus des bidonvilles des hauteurs d'Alger ne sont plus concernés par les opérations de relogement. Eh bien oui, s'ils ont patienté toutes ces décennies (noires, rouges, boueuses, etc.), ils peuvent quand même faire un petit effort. Bon courage la misère! Maintenant, faut-il reconstruire Bab El-Oued? Pourquoi pas des tours émiraties géantes? Un promontoire, des parcs d'attractions et un jardin public? Sinon, ériger une copie du Houbel, Maqam echahid? Un autre arbre qui cachera une autre forêt. Diar Essaâda, Bab El-Oued, El-Harrach, Saliba, et à Oran, les Planteurs, Chabor, à Oum El-Bouaghi, et tous ces quartiers, bourgs, oubliés par les dieux et les hommes du gouvernement et des administrations locales... Qu'en reste-t-il? Des écoles ont rouvert leurs classes. Des familles expulsées de l'APC de BEO vers la rue. Des dons qui sont toujours acheminés. Des pompiers choqués à vie. Des enfants qui auront du mal à croire en quelque chose. Et des égouts bouchés à 50 mètres du Palais du gouvernement.