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Les douars de Ben Khelil à la merci des crues
Ces hameaux risquent de connaître le même sort que Ghardaïa
Publié dans La Tribune le 22 - 12 - 2008


Photo : Sahel
Par Abderrahmane Semmar
Plaine de la Mitidja, daïra de Boufarik. Le soleil de cette matinée éclaire gaiement des hectares et des hectares de vergers assoupis et silencieux. Tels des rideaux de perles, les mandarines et les oranges, symboles par excellence de la région, et dont la réputation n'est plus à défendre, offrent au regard des visiteurs des couleurs et des expressions qui contrastent entre elles. C'est ainsi qu'à la sortie de Boufarik, sur la route qui mène à la commune de Ben Khelil, le long de quelque 6 km, le climat doux et caressant renvoie au rang de souvenir les fortes pluies et les orages qui ont dangereusement sévi la semaine dernière dans ce coin rural percé par de multiples cours d'eau. Mais que l'on ne s'y trompe pas ; contrairement aux étrangers de passage, ce beau temps ne suffit guère aux habitants de la région pour leur procurer la joie et le sourire. Car les plaies des intempéries de la semaine dernière ne se sont nullement cicatrisées. Et pour cause, ici, sur cette partie de la Mitidja, la pluie a semé la terreur parmi les citoyens. Dans la commune de Ben Khelil, composée des douars de Ben Chaabane, Ben Hamdane, douar Mouloud, Aïn Aïcha et Ben Khelil, les flots boueux ont failli provoquer un véritable drame. Selon les habitants et les élus locaux, on a évité de justesse un deuxième Ghardaïa à 40 km à peine de la capitale.
Les faits remontent à la matinée de mercredi dernier. La pluie battante ne s'est pas arrêtée depuis 24 heures. De ce fait, tous les douars de la commune enclavée de Ben Khelil se retrouvent inondés. Le lotissement de Aïn Aïcha et le douar Mouloud sont les plus touchés. L'oued Ben Chaabane, appelé également oued Thelta par les anciens villageois, a débordé, déversant au passage dans ces quartiers mitoyens un torrent impétueux. L'eau a envahi des centaines de maisons des quartiers de Aïn Aïcha atteignant dans certaines demeures deux mètres de haut ! La panique des habitants est sans pareille et les frayeurs des familles demeurent indescriptibles, notamment lorsque ces dernières, se réfugiant sur leurs terrasses, aperçoivent les vergers de pommiers submergés par les vagues successives de l'oued limitrophe.
«S'il avait plu encore le jeudi, nous n'aurions pas pu survivre»
Rencontrés sur place, des habitants de Aïn Aïcha nous montrent les conséquences de cette crue que certains ne se disent pas près d'oublier. Toutes les maisons, sans exception, sont encore embourbées. Les pistes restent impraticables et de nombreux quartiers, désertés par leurs occupants, sombrent dans l'isolement. Des étendues fangeuses stagnent un peu partout dans les «znikates» et enlaidissent davantage le décor de ces rues abandonnées à leur triste sort. Les enfants circulent difficilement en tentant vaille que vaille d'éviter les flaques marécageuses léguées par les eaux furieuses de l'oued. Il convient de signaler que ce dernier est situé à 3 ou 4 mètres seulement des habitations. «S'il avait plu encore le jeudi, nous n'aurions pas pu survivre», s'écrient les uns et les autres. Tout le monde dans ce sinistre lotissement invoque, désormais, Dieu comme unique sauveur des périls de l'oued.
Pour sa part, Hakim, l'un des habitants de Aïn Aïcha, dont la maison a été gravement touchée par les eaux envahissantes, considère qu'un véritable miracle divin l'a sauvé lui et sa famille de la mort. «Dieu merci, j'ai réussi à extirper ma femme et mes deux enfants de la maison. On a parcouru tout le quartier à pied. Il fallait qu'on marche plus d'un kilomètre pour qu'on trouve un barrage de sécurité où des policiers nous ont mis à l'abri», raconte notre interlocuteur sur un ton rythmé par l'amertume.
Encore sous le choc, ses enfants et son épouse appréhendent plus que jamais l'hiver qui s'installe durablement. Eux aussi savent pertinemment qu'ils sont à la merci des crues de l'oued. «Cette fois, nous l'avons échappé belle. Mais qu'en sera-t-il à l'avenir ?» s'interroge-t-il. Lyes, un voisin de Hakim, a lui aussi vécu une journée cauchemardesque ce mercredi. «L'eau m'est arrivée jusqu'au cou dans le rez-de-chaussée de ma maison. Je me suis rappelé les images de Ghardaïa. A ce moment-là, je me disais qu'on allait vivre la même tragédie», confie-t-il. Toutefois, au-delà des angoisses et des anxiétés de l'heure, les habitants de Aïn Aïcha et du douar Mouloud n'hésitent pas à faire part de leur colère à l'encontre de leur mairie. D'après eux, le curage de l'oued Ben Chaabane n'a pas été réalisé comme il se doit. De plus, leurs quartiers ne disposent même pas d'un réseau correct d'évacuation des eaux pluviales. «Le maire fait dans le deux poids, deux mesures. Alors que son quartier et ceux de ses compagnons sont bitumés et bien équipés, les nôtres pataugent dans la boue et l'eau sale. C'est une discrimination que nous ne pouvons plus tolérer», clament-ils d'une seule et même voix. «Naguère, notre oued était propre. Son eau était claire et transparente. Nous y pêchions même du poisson. Mais, depuis quelques années, les déchets et les rejets industriels l'ont entièrement pollué. Nous avons saisi la mairie à ce sujet, mais elle est restée indifférente à nos sollicitations», ajoutent d'autres interlocuteurs.
«La retenue de Sidi Abdellah menace carrément nos vies»
De son côté, M. Taïbi Daoud, président de l'APC de Ben Khelil, réfute ces accusations qu'il juge infondées. Pour lui, la commune qui accuse un retard immense en matière de développement local a changé de visage par rapport aux années précédentes où «elle était mise à l'écart du monde civilisé». «Sachez que toutes les enveloppes budgétaires que la wilaya de Blida nous a débloquées s'avèrent très insuffisantes pour doter cette commune rurale de toutes les structures publiques adéquates», affirme-t-il en nous accueillant dans son bureau. «Je vous signale que notre commune a souffert le martyre durant la décennie noire. Aujourd'hui, nous redémarrons à zéro. Tout reste à faire. C'est pour cela que nous avons demandé à la wilaya un programme spécial de développement au profit de tous nos douars qui manquent de tout», poursuit-il.
Concernant le curage de l'oued Ben Chabaane, le maire de Ben Khelil assure que cette opération qui a coûté pas moins de 120 millions de dinars s'est bel et bien accomplie au cours de l'été dernier. «Néanmoins, cela ne suffira jamais pour protéger notre commune des crues, car nous sommes pris en otages par la retenue collinaire de Sidi Abdellah», explique M. Taïbi. Ainsi, selon lui, cette crue, la troisième du genre après celles de 2002 et de 2007, serait due essentiellement à la rupture de la retenue collinaire de Sidi Abdellah dont les eaux se déversent dans l'oued Ben Chabaane, élevant ainsi dangereusement la puissance de son courant et le niveau de ses flots.
Pour preuve, en novembre de l'année dernière, la Protection civile est intervenue dans la commune de Ben Khelil, plus précisément au douar Ben Chaabane, pour l'évacuation préventive de 23 familles dont les demeures étaient menacées par les eaux après la rupture de la retenue collinaire de Sidi Abdellah, située en amont de cette agglomération. Les familles sinistrées ont été accueillies provisoirement dans des écoles du quartier. Près de 300 habitations situées au niveau de plusieurs agglomérations de la commune de Ben Khelil ont été inondées par les crues de l'oued Gabi, alors que 2 personnes de la cité Ben Chaabane ont été évacuées à l'hôpital de Boufarik après avoir reçu des décharges électriques dans leurs habitations. C'est dire tout le danger que fait peser la retenue collinaire de Sidi Abdellah, dont la vocation est avant tout touristique, sur les douars de la région.
«La retenue de Sidi Abdellah menace carrément nos vies. Voilà la vérité. Fort heureusement, la semaine dernière, il n'y a pas eu de victimes. Mais à chaque intempérie, c'est nous qui subissons les crues des différents oueds de la région. Mais, jusqu'à quand cela va-t-il durer ? Nous encourons, si cela continue, le risque de connaître le même sort que Ghardaïa», souligne le jeune président d'APC. Pour le moment, les autorités locales de Ben Khelil ont prévenu la wilaya de Blida au sujet du danger qui menace la vie des milliers d'habitants des douars de cette commune.
Un terreau pour une révolte populaire
Pour éviter qu'un tel drame se produise, la wilaya de Blida a débloqué 30 milliards de centimes pour édifier un ouvrage de confluence, soit un oued artificiel à même de récupérer les eaux rejetées par la retenue collinaire de Sidi Abdellah. «Seul ce projet pourra nous sauver d'une crue destructrice. Sans cet oued artificiel, nous serons éternellement à la merci des crues», décrète d'un ton péremptoire
M. Daoud Taïbi. Cet avis n'est, toutefois, pas partagé par tous les élus de la commune car le tracé de ce nouvel oued suscite d'ores et déjà la polémique. «Il ceinture d'autres douars qui risquent être engloutis si par malheur cet oued déborde à son tour», relève un autre élu de l'Assemblée populaire communale.
Comme si la léthargie, l'enclavement et le désœuvrement ne suffisaient pas, le danger des crues vient encore boucher les horizons de cette localité où le malaise général se lit dans tous les regards des jeunes comme des adultes. Les anciens des douars craignent dans ce contexte une explosion de colère qui embraserait toute la région. «Nous lançons tout le temps des appels au calme à l'égard des jeunes qui en ont ras-le-bol de ces conditions de vie précaires. Les douars de Ben Khelil sont une véritable poudrière», révèle un imam du douar Ben Hamdane.
Avec des routes défoncées, un transport aléatoire, un chauffage au gaz naturel inexistant, une assistance sociale inconnue et, le comble, un chômage touchant 50% de la population active, les douars de Ben Khelil représentent réellement un terreau pour une révolte populaire que tout le monde redoute. Aujourd'hui plus que jamais, on craint le pire dans ce bout perdu de la Mitidja.


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