«Evoquer les crimes du passé, les siens en particulier, ne relève pas d´un penchant morbide ou de l´autoflagellation.» Jour de victoire pour les Européens et jour de deuil pour les Algériens, le 8 mai 1945 a été abondamment traité par la presse française dans ses éditions d'hier et d'aujourd'hui. Ainsi, 60 ans après les tragiques événements de Sétif, Guelma et Kherrata, les médias de l'Hexagone déterrent le passé colonial de la France et «osent» enfin appeler les choses par leur nom. Avec des titres en une, assez révélateurs sur une volonté de dire les «vérités crues» sur un passé jusqu'alors mal assumé par la société française. «Les massacres de Sétif : l'autre 8 Mai 1945», «le jour où est née la guerre d'Algérie», ou encore «Sétif revient hanter la France coloniale», ont accueilli hier les lecteurs français. Pour le journal Libération qui consacre tout un dossier à l'événement en sus d'un éditorial, «le jour de la victoire (contre le nazisme) a été aussi un jour d´infamie pour la France». «En Europe, des militaires français étaient associés au triomphe du camp de la dignité. A la même heure ou presque, en Afrique du Nord, des hommes portant le même uniforme noyaient dans le sang, sans discrimination, des manifestations pacifiques de patriotes algériens», lit-on dans un éditorial titré Amnésie. Le même quotidien souligne que «parce que la répression y a trouvé sa plus grande violence, la ville martyrisée de Sétif symbolise depuis longtemps pour les Algériens le lever de rideau de leur guerre d´indépendance. En France, c´est plutôt «Sétif, connais pas». Cette amnésie bien arrangeante est aussi pernicieuse», note-t-on. «Evoquer les crimes du passé, les siens en particulier, ne relève pas d´un penchant morbide ou de l´autoflagellation. Il s´agit plutôt de se libérer des poisons que ces crimes sécrètent en silence, en les considérant froidement, en pleine lumière», insiste l'éditorial. Quant aux nombreux articles qui ont été consacrés au dossier, l'on sent une véritable envie d'exorciser la hantise du 8 Mai 1945. Retenant que l'action de l'armée française a été ni plus ni moins une «répression sanglante par les forces françaises des manifestations pro-indépendantistes de mai 1945 dans la région de Sétif, en Algérie», il est relevé un constat sans détour, ayant trait au fait que «la France a longtemps évité d´affronter son passé colonial. Il lui revient aujourd´hui à la figure». Un second article, dont le titre ne souffre aucune équivoque: «Le jour où est née la guerre d'Algérie», revient dans le détail sur les événements de Sétif. Le journal ne manque pas à ce propos de souligner qu'alors que l'on «fête la capitulation allemande, sept mille Algériens célèbrent la fin de la guerre par un défilé qui descend vers le centre de Sétif, une ville du Constantinois. Soudain, un homme brandit le drapeau algérien, cet emblème interdit par le gouvernorat général français, tandis que des banderoles surgissent dans la foule: «Vive l´Algérie libre et indépendante!». Pour le journal de gauche, la répression qui a suivi a signé l'acte de naissance de la guerre de Libération en Algérie. Dans le même article, le journal rapporte une vérité historique. «Le Parti du peuple algérien (PPA) donne l´ordre de préparer le 1er Mai et la fête de la victoire. Avec une seule consigne: manifestations massives et pacifiques, sans aucune arme mais avec le drapeau», souligne-t-il, en rappelant un massacre similaire survenu le 1er mai 1945. «Partout, à l´Est comme à l´Ouest, les Algériens vont manifester et défiler dans la discipline. Mais à Alger et à Oran, c´est l´affrontement. La manifestation est immense et la police tire quand elle pénètre au Centre-ville. La répression est violente et la cassure entre les deux communautés apparaît.» «C´est le début d´un soulèvement spontané dans le Constantinois. Ce sont aussi les pires massacres des forces coloniales contre les Algériens. Le couvre-feu et la loi martiale sont décrétés. Les exécutions sommaires de musulmans «suspects» se multiplient». «Dès le 9 mai, raids aériens, mitraillages et bombardements punissent des hameaux résistants et incendient les forêts. Des expéditions punitives vident les gourbis de leurs habitants, des camps d´internement se remplissent et se vident par des exécutions sommaires, des corps sont incinérés dans les fours à chaux d´Heliopolis», écrit Annie Rey-Goldzeiguer. Le bilan est terrible, même si impossible à établir. «En fait, le quotidien français fait également le parallèle entre la répression sauvage dont ont été victimes les Algériens, «à peine rentrés de la Seconde Guerre mondiale». Nombre d'entre les combattants qui ont participé à la victoire contre le nazisme ont, de retour chez eux, trouvé leurs parents en prison. Et au journal de conclure que «les événements de Sétif mettent en question toute la politique coloniale de la France : l´assimilation c´était fini, désormais la parole était aux armes des deux côtés», remarque l´historien Jean-Pierre Peyrolou. «L´ampleur de la répression signifiait bien ce qu´elle voulait dire : une volonté de maintenir le statu quo colonial, et l´incapacité de la France à mener une décolonisation plus subtile, à l´anglaise» . Pour sa part, le journal Le Monde, daté d'aujourd'hui, diffuse également un dossier dont le premier article «L'autre 8 Mai 1945» souligne que «l'occultation de ces drames illustre aux yeux de certains, l'impossibilité de la société française à assumer un passé colonial qu'elle perpétuerait en son sein». Le quotidien français de référence, estime néanmoins que: «Les massacres de Sétif et Guelma commencent à grand-peine à franchir le mur du silence.» Pour Le Monde, «la reconnaissance des responsabilités de la France coloniale est un préalable indispensable à la convocation de la mémoire». Le quotidien publie également un entretien de l'historien Claude Liauzu qui note que les évènements tragiques de Sétif, Guelma et Kherrata, «tout en s'inscrivant dans une tradition de résistance, constituent les prémices de la guerre d'Algérie».