Il est 10h 55 lorsque Ahmed Fattani, le directeur de L'Expression, est appelé à la barre. Med Yahiaoui, le juge, invite le poursuivant à expliquer le pourquoi des poursuites. La victime reprend la «Une» de L'Expression où ses coordonnées sont étalées: «Le P-DG de l'entreprise veut privatiser ladite entreprise», s'est-il écrié avant de faire l'éloge de son action à la tête de la société. Puis, il évoque la protestation de Belhoucine à propos de la privatisation des entreprises. «Il a été débouté jusque par le conseil d'Etat», s'est égosillée la victime. Yahiaoui pose de bonnes questions, ce qui permet à la victime de dresser la liste de quatorze ministres avec lesquels il a travaillé. «Je suis compétent, intègre et patriote», dit la victime, excitée au plus haut point au moment où il reproche à Fattani le fait qu'il ait évoqué sa fille Sarah. Et le juge d'intervenir: «Pourquoi ne pas avoir entrepris des démarches normales et personnelles pour l'obtention du visa?» «Je suis parti en mission, pour les contacts de partenariat... et la fillette était avec moi dans le visa. Ma sensibilité à reçu un choc, car mon nom a été souillé en Une. Moi, l'enfant de la famille révolutionnaire ayant droit de victime du terrorisme pour que l'Algérie reste debout», conclut la victime. Me Mentalechta demande la date de la suspension de la victime. «J'ai été mis en congé spécial le 10 décembre 2004, après la parution de l'article de L'Expression.» Me Hadj Gasmi pose une question sur les missions des DG et P-DG: «La famille accompagne-t-elle à tous les coups les P-DG en mission? » La réponse est non, «mais», ajoute-t-il, il y a des facilitations. Les questions des conseils de Fattani se font plus écrasantes lorsqu'il s'est agi d'expliquer l'invitation faite aux membres de la famille du P-DG, demandée par la Chambre de commerce. L'avocat insiste: «Expliquez-nous l'expression ‘'invitation avec prise en charge totale''». La victime donne la réponse dont il est le seul à saisir la portée. Fattani donne sa version des faits. Il est sûr de la valeur intellectuelle de ses écrits : «Nous respectons les familles, mais nous dénonçons les comportements antisociaux. Et ici, je me suis adressé au chef du gouvernement qui chapote les holdings. Je n'ai pas écrit des mots pour des «maux». J'ai des écrits qui prouvent ce que le journal a dénoncé.» M.Benkaïdali n'avait pas le droit de négocier la privatisation d'une entreprise publique par la réception d'une prise en charge totale de M., Mme et la fille, ce sont là des signes de corruption, ni plus ni moins. Et ces comportements sont condamnés moralement par le gouvernement. Il a été suspendu par le chef du gouvernement sur proposition de son ministre de tutelle, si ce P-DG valait le coup, il n'aurait pas été jeté avec l'eau du bain. Notre rôle, nous le jouons avec sérénité, car nous avions enquêté profondément avant de donner notre papier, dont la finalité était de veiller à l'honneur de l'Algérie, qui n'a pas besoin d'importer des panneaux de signalisation. «M.Benkaïdali n'était plus P-DG, depuis décembre 2004. Il tente de se réhabiliter et ce n'est pas L'Expression qui l'a poussé à accepter l'invitation, prise en charge qui n'étaient en fin de compte qu'un piège tendu à un gestionnaire ancien de dix-sept ans», conclut Fattani, avant de mettre en avant le privilège du journaliste: «Taire sa source», et de répondre avec beaucoup de conviction aux questions des avocats de la victime, qui a perturbé un tant soit peu l'audience. Yahiaoui cesse d'être tolérant cinq secondes et rappelle à l'ordre Benkaïdali, qui s'excuse sous l'impulsion de son avocat, Me Guerroudj. Ce dernier a tenté, par une longue question, de lier l'indélicatesse du P-DG et Ould Hocine. Fattani répond que l'Enps était au tribunal. «Le contentieux pendant voulait que j'évoquasse Ould Hocine», rétorque l'inculpé. L'actuel P-DG de l'entreprise est intervenu pour réitérer que la privatisation de l'Enps avait été dictée par les pouvoirs publics. L'intervenant était à la barre pour visiblement «tomber» sur Fattani, coupable à ses yeux d'avoir provoqué l'amalgame au sujet de l'Enps, qui est équilibrée sur le plan financier et de l'exploitation. L'actuel P-DG de l'Enps n'est pas arrivé à répondre juste aux questions précises de Yahiaoui, le président qui domine le sujet à merveille, malgré l'obsession de l'intervenant à évoquer le «traumatisme» des ouvriers, à la suite de la parution de l'article incriminé. Fattani cherche à savoir en qualité de quoi le P-DG est intervenu. «Il est constitué partie civile et parle au nom de l'entreprise», marmonne le magistrat qui appelle Ould Hocine à la barre. «Avez-vous une relation quelconque avec l'Enps?» demande le juge. «C'est mon entreprise. Elle est à moi. Depuis 1975 que j'ai créé cette Enps en tant qu'ancien officier de l'ALN. J'ai eu le mérite de lancer cette société qui a employé jusqu'à 250 travailleurs. J'ai couvert le Maroc et la Tunisie. Puis tout a basculé. Brimades, prison, humiliation, on m'a condamné à quatre ans pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Après dix ans pour dilapidation de biens publics. Entre-temps, ma société était malmenée jusqu'à ma réhabilitation par la Cour suprême qui a évoqué la violation de la loi par le tribunal militaire.» Me Salima Filali, l'avocate de la victime, reprend les termes jugés diffamatoires, sans fondement en vue de descendre et le P-DG et l'entreprise. Elle s'étale longuement sur les termes qu'elle décortique entièrement. «Quel est ce crime commis par notre client?» s'est exclamé le conseil qui est revenu sur les voies utilisées pour l'obtention d'un visa. «Il faut, par exemple, la lettre d'invitation pour l'obtenir rapidement», dit-elle entre les dents. Puis elle se dit outrée que son client et sa famille aient reçu des cadeaux de la part des Français avec qui des contacts devaient être pris pour un éventuel partenariat, des échanges, des visites... Toujours selon Fattani à qui elle reproche d'avoir accusé le P-DG d'avoir mis l'entreprise sur la liste décriée. «C'est le ministère de la Privatisation qui a été l'auteur de cette affirmation», a encore ajouté l'avocate, qui a condamné le harcèlement médiatique relevé à l'encontre du P-DG et de l'Enps. Me Guerroudj ne trouve plus rien à ajouter à la plaidoirie de son aînée si ce n'est de remettre le train et les wagons sur les rails: «L'article du 14 décembre 2004 a énormément touché notre client. Les éléments constitutifs du délit de diffamation sont réunis, surtout que l'inculpé a persisté dans son attitude sur cette affaire», a articulé l'avocat qui a demandé, à titre de dommages et intérêts, dix millions de dinars à la victime, et dix millions à l'entreprise avec l'insertion du verdict dans quatre journaux. Le procureur requiert l'application de la loi. Me Mentalechta pour Fattani rejette d'emblée les manoeuvres vécues à la barre, car de diffamation, point. Il décide de rétorquer par une contre-plaidoirie à propos d'Ould Houcine, qui avait fait, dès le décès de Houari Boumediene, l'objet de vengeance par son incarcération, la spoliation de ses biens. Heureusement, la Cour suprême a joué le jeu en toute transparence et «brisé» les verdicts du tribunal militaire. «Voilà pour ce qui est d'Ould Houcine», s'est époumoné le conseil, qui passe d'emblée au délit qu'il trouve inexistant, infondé. «M.Fattani a fait du boulot de journaliste, qui s'est basé sur des documents authentiques pour ce qui est de l'invitation et la prise en charge totale de Benkaïdali et sa famille», a-t-il récité debout à la barre avec une gestuelle dont il détient le secret. Dénonçant les manoeuvres de certaines parties, l'avocat décortique les mots: «Allégation et imputation», et passe à l'expression de facilitations administratives pour l'obtention du visa. «Oui, Fattani a sur lui le document qui prouve la corruption dénoncée par L'Expression.» D'ailleurs, le conseil reprend les termes: «Nous acceptons vos conditions, en l'occurrence l'invitation.» «Quant aux fameux cadeaux, Fattani s'est interrogé. Il n'a pas été affirmatif. Par contre, il a été affirmatif dans le domaine du classement de l'Algérie parmi les pays les plus frappés par le fléau de la corruption», a souligné le conseil qui a répété qu'il n'y a aucune diffamation. Car l'esprit sain ne peut accepter qu'un P-DG ne puisse être pris en charge par une entreprise française, avec madame et la fillette, et la relaxe est demandée. Me Hadj Gasmi est l'avocat suivant de Fattani, il se dit solidaire avec la plaidoirie de son aîné. Répliquant à sa consoeur de la partie civile, le défenseur dit son désaccord sur le fait de rechercher à tout prix le partenariat, surtout si l'entreprise est florissante. La seconde réplique est dirigée vers Me Gueroudj, le conseil revient sur la fameuse invitation et la prise en charge. «Notre client a fait l'acte d'un journaliste patriote en dénonçant ces agissements», s'est écrié l'avocat qui a rappelé que le président de la République a, dès le début, ordonné une lutte sans merci contre le phénomène de la corruption. Me Djoumat se veut concis, bref et précis. Il aborde le droit, les termes utilisés dans les codes qui régissent la société dans son tout. La société a besoin d'une presse responsable libre, soucieuse des intérêts supérieurs de l'Etat. «Les pouvoirs publics doivent savoir que la transparence ne peut exister sans le journaliste.» Fattani est invité à prononcer le dernier mot: la relaxe. C'est Mohamed Abdoun, le représentant du journal, qui le fait et le fait bien même. Sur ce, la mise en examen est annoncée pour le 15 mai 2005.