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A quand la prise de...la Bastille?
ORAN
Publié dans L'Expression le 08 - 06 - 2017


Le marché de la rue des Aurès à El Bahia
Les pickpockets fourmillaient en nombre et accomplissaient leurs larcins en fouinant dans le sac de la victime sans que celle-ci ne s'en rende compte.
C'est l'un des marchés les plus fréquentés par les Oranais et les visiteurs de la ville d'Oran, à toute heure et durant les quatre saisons. Il est situé en plein coeur de la ville. Il sépare la rue Khemisti et la rue Larbi Ben M'hidi. Les tarifs raisonnables appliqués dans cette très étroite rue lui ont valu le titre de marché de référence de la ville d'Oran. Il n'est fermé que très rarement, et souvent pour des raisons liées à la célébration des fêtes religieuses comme l'Aïd El Fitr et l'Aïd El Kebir. Il s'agit tout simplement d'une des plus anciennes rues connaissant une très forte activité commerciale portant l'appellation coloniale du marché de la Bastille. Cette rue a été débaptisée depuis les années 1970 et pris le nom de la rue des Aurès.
Une telle nouvelle baptisation n'a en rien changé les esprits des familles s'approvisionnant dudit marché.
Les Oranais sont toujours figés dans l'ancienne appellation, le marché de la Bastille, tout comme Gambetta (Sedikia actuellement), Plateau (Adda Benaouda), Saint-Pierre (Cité Yghmouracen), Cavaignac, place d'Armes (place du 1er Novembre), Front de mer (boulevard de l'ALN), boulevard Valero (boulevard Maâta), rue Montauban, boulevard des Chasseurs (Bd Abane Ramdane), Cité Péret devenue cité Mouloud Feraoun, le cinéma Régent (le Maghreb), Saint Rémy (cité Emir Abdelkader), Saint-Cloud (Gdyel).
Toutes ces rues et villes n'ont en réalité pris une nouvelle identité que dans la paperasse administrative.
Pour un dinar troué
Les exemples de nouvelles cités et quartiers baptisés aux noms algériens n'ayant fait aucun effet sur des esprits encore «colonisés» sont longs. Est-il temps de se libérer des résidus coloniaux? Sûrement pas de sitôt tant que l'hypogastre n'a pas d'identité, pour peu que la bouffe soit disponible au prix raisonnable. Peu importe la dénomination attribuée à la rue.
Les ventes du marché de la Bastille sont discontinues, tout comme le marché populaire géant de Mdina Djedida. Si le deuxième est transformé en grand espace commercial à ciel ouvert proposant tout ce dont l'homme et la femme ont besoin, le premier (marché de la Bastille), s'étendant de la place Le Maghreb jusqu'au consulat d'Espagne, comprend deux espaces entrecoupés au centre par une intersection liant la rue Larbi Ben M'hidi à la rue Khemisti.
Ce carré très exigu est spécialisé dans la vente de toutes variétés de poisson exposé dans des cageots usés à même le sol que jonche une crasse visqueuse dégageant des odeurs faisant fuir les plus résistants. Le premier espace est spécialisé dans la vente des habits tandis que le deuxième fait grande recette en proposant des fruits et légumes.
Une seule règle régit cette très étroite rue bordée par de petites boutiques collées l'une à l'autre, occupant le rez-de-chaussée des immeubles. Des dizaines d'étals et de tables rouillées sont mises en place tout le long du milieu du marché proposant toutes sortes de fruits et légumes aux prix imbattables.
Le marché de la Bastille est bouclé dans ses deux entrées par plusieurs commerçants proposant du pain entassé dans des caisses brunies par toutes sortes de vilénies.
Le marché de la Bastille, malgré l'intensité de l'activité commerciale qu'il connaît, constitue une véritable plaie qu'aucun responsable n'a pu ni su apporter un remède pour le javelliser ou l'aseptiser. Il est 22h dans la nuit de vendredi à samedi. Un géant camion à benne tasseuse passe.
Les employés, se tenant sur le marche-pied de l'arrière de l'engin nettoyeur ne font pas le salut militaire en collectant les dizaines de tonnes de détritus laissés sur place par les commerçants rompant le jeûne avec leurs familles. «C'est toute une saleté à laquelle nous faisons face chaque nuit», dira un agent de nettoiement attribuant le titre de «zebals» à ces centaines de vendeurs ne jugeant pas utile de nettoyer les espaces qu'ils occupent en exerçant leur profession, le commerce.
«La rue de la Bastille est la plus sale d'Oran», a déploré le même agent. Dans cette rue, ciblée par tous les Oranais en raison exclusivement des tarifs promotionnels, la crasse atteint une viscosité ahurissante et s'entasse sur plusieurs centimètres.
Parfois, on sent même l'odeur des égouts et des eaux usées où des «regards» bouchés explosent non loin du marché envahissant son ciel de puanteurs pestilentielles. Certains clients, malgré la répugnance ambiante, s'aventurent tout de même à l'intérieur du marché pour profiter des bas prix tout en se bouchant le nez, se bousculant et se faufilant entre les petites tables de fortune en lâchant la routinière amabilité articulée autour de deux petits mots: «Smah li» (excusez-moi s'il vous plaît). Dans ce marché, on y trouve aussi bien des femmes que des hommes tenant des couffins et demandant les prix à leur passage au niveau de chacune des tables avant de trancher et faire les achats.
La Bastille et son marché son fréquentés à tel point que des hommes et femmes, vieux, jeunes et moins jeunes viennent de tous le quartiers de la ville d'Oran et des environs immédiats. Un tel flux est quotidien. Depuis sa création, ledit marché a été le fief des vols zélés.
La vilénie fait recette!
Les pickpockets y pullulaient et accomplissaient leurs larcins en fouinant dans le sac de leur victime sans que celle-ci ne se rende compte. Cette pratique s'est tellement répandue dans les années 1970, 1980 et 1990 que les prix ont accusé des courbes fulgurantes dans les premières années de ce IIIe millénaire s'étendant presque dans tout le centre-ville et les quartiers populaires. C'est le premier vecteur de maladies et de délinquance de la ville; il est baptisé le marché des «khiyane» (des voleurs) ou l'antre des produits périmés. La rue des Aurès devient un véritable coupe-gorge à la nuit tombée. «C'est le royaume des pickpockets», dira un résident de la Bastille. Tous les walis qui se sont succédé à la tête de la wilaya d'Oran n'ont rien pu faire à commencer par Ould Kablia, Abdelmalek Sellal, Bachir Frik, Koudria, Tahar Sekrane, Abdelmalek Boudiaf, Abdelghani Zaâlane etc. Abdelkader Zoukh, lors de son petit passage à la wilaya d'Oran, n'a pas non plus réussi à évacuer le marché en proposant de placer les commerçants dans une grande bâtisse abandonnée à quelques mètres de là, une ancienne cave à vin.
Idem pour les maires de la municipalité d'Oran. Chacun de ceux-là ayant apporté une thèse qu'il défendait devant l'Assemblée populaire communale en préconisant un traitement de choc. En vain. Le projet en question a vite fait de tomber à l'eau.
Le dernier en date est l'actuel P/APC qui ne cesse de jurer par tous les saints quant à «mater» et «soumettre» ces indomptables commerçants en transférant le marché de la Bastille dans une grande bâtisse située dans la cité Yghoumrassen.
L'opération coup de poing tant attendue tarde toujours à venir laissant une telle tâche aux policiers inhalant à longueur de journée les odeurs pestilentielles en traquant de manière dissimulée les délinquants. Pour mieux agir, les policiers ne s'aventurent jamais à l'intérieur du marché en tenue réglementaire. Ils ont été à la fois agiles et habiles dans leur mode opératoire en ayant d'abord repéré les lieux susceptibles d'abriter des foyers de «tension» avant de les cerner et les mettre dans leurs viseurs. Dans leur action, des dizaines de policiers se mettent en tenue civile ratissant en catimini la rue des Aurès tout en agissant furtivement au moindre mouvement suspect mettant la main sur ces voleurs spécialisés dans les larcins des porte-monnaie. Ces policiers constituent la bête noire de ces «naqra» ou encore «provocateurs» semant la confusion dans les esprits des petits salariés trouvant leurs affaires dans le marché de la Bastille.
La prise de la Bastille n'est pas pour demain!
La prise de la Bastille, survenue le mardi 14 juillet 1789 à Paris, est l'un des événements inauguraux et emblématiques de la Révolution française. Celle du deuxième Paris (Oran) tarde à venir, malgré toutes les promesses. Y a-t-il anguille sous roche, vu les lenteurs observées dans le cadre de la réappropriation du marché de la Bastille? Qui détient les clés de ce marché géant qui enfle peu les caisses de la trésorerie communale? Qui a main basse sur ce marché dont l'appartenance revient à la municipalité d'Oran? Qui en tire les dividendes? À qui profite une telle léthargie inscrite dans la durée? Est-il rentable? Va-t-on le rentabiliser à la faveur de la crise économique qui pointe du nez? Ce sont là autant de questions qui ne trouvent toujours pas de réponses tant que les responsables locaux sont d'ores et déjà en...«vacances». C'est aussi le Ramadhan qui a incité plus d'un à marquer l'arrêt de la machine gérant les affaires de la cité. En un mot, des responsables locaux ne sont joignables que tard dans la nuit autour d'une tablette de chamia et une tasse de thé.
En somme, le marché de la Bastille est une véritable citadelle aux secrets inexpugnables et difficiles à déchiffrer.


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