A quelques encablures de la clôture, les rumeurs donnent Caché de Michael Haneke devant, les Frères Dardenne et L'Enfant... La presse française reste dithyrambique depuis le passage des autres frères, français ceux-là, les Larrieu, avec Peindre ou faire l'amour... Faut-il nécessairement choisir ? Il y a lieu de le croire, car la critique hexagonale, pour sauver la bonne réflexion du film, lesté par un scénario aux coïncidences forcées, va même jusqu'à convoquer un philosophe, Heidegger, pour se pencher sur l'Etant (qui serait ici, assombri par des nuages) et la clairière de l'Etre... L'argument posé, par le titre du film, en interrogation pertinente, avait pourtant de quoi intéresser même ceux qui se voileraient la face derrière leur main en éventail : Y aurait-il une vie amoureuse, après une longue vie de couple ?... Comment faire pour que les nuages (métaphoriques) s'éloignent de dessus la clairière (existentielle)... Que l'on se rassure ce n'est «que» du Heidegger... En acceptant de laisser battre son coeur ? Evident ! De cesser d'être gentil (seulement) mais aussi d'être vrai : un programme inscrit d'ailleurs dans les stages de développement personnel, loin de toute démarche «new-age», que l'on se rassure... En somme, d'être à l'écoute de soi. Loin de tout égoïsme, mais aussi de toute frustration que développerait l'idée de sacrifice pour les autres. En ayant sans doute le courage de se dire que l'on fait d'abord les choses pour soi. Même quand on sourit à l'autre. Kusturica, président de jury à l'humour bien particulier, répondra-t-il à cette esquisse de sourire?... Amos Gitaï aimerait sans doute mieux que le jury cannois sourit de concert, au dernier plan de Free Zone où l'on voit une Israélienne (Hanna Laslo) et une Palestinienne (Hiam Abbas) ne parvenant pas à conclure en affaires, se prendre la tête, coincées qu'elles sont dans l'habitacle de leur véhicule. «Elles se chamaillent mais se parlent quand même et finiront donc par s'écouter en attendant de s'entendre», telle serait la démarche prométhéenne de ce film. Free zone? C'est aussi cette zone libre, un no man's land, à l'est de la Jordanie, frontalière de l'Irak et de l'Arabie Saoudite. Là-bas, Palestiniens, Jordaniens, Egyptiens, Saoudiens et Irakiens, rencontrent des Israéliens pour faire des affaires... «On peut même voir des Saoudiens ou des Syriens acheter des bus israéliens», affirme Gitaï, qui rappelle, qu'à l'origine, cette oasis située à l'est du royaume hachémite, avait abrité un orphelinat fondé en 1948 par un Palestinien, Moussa Alami. Par deux fois, cet espace a été incendié par des compatriotes de Alami, puis par ses ennemis venus de Tel Aviv. Dans Free Zone la métaphore de Gitaï en vaut bien une autre, sinon plus «Etre en désaccord, sans avoir recours à la force. Cela vaut pour les relations personnelles et pour les nations». Pour ce faire, Amos a filmé en 18 jours, l'histoire de Rebecca (Nathalie Portman) une Américaine qui vit à Jérusalem, en rupture amoureuse, qui monte dans le taxi de Hanna (Hanna Laslo), une Israélienne en partance pour la Free Zone, récupérer une grosse somme que leur doit «l'Américain», associé de son mari Moshe ben Moshe. Rebecca, convinc Hanna de l'emmener avec elle. En Jordanie, Hanna rencontre la femme de l'associé de Moshe, une Palestinienne, Leïla (la belle Hiam Abbas) qui leur explique que l'Américain a disparu et l'argent avec. Lorsque l'on retrouvera «l'Américain», les choses atteignent leur paroxysme et les informations tombent en rafales sur Rebecca, qui découvre que Leïla avait des biens en Palestine, et que l'Américain n'est que cet enfant Palestinien expédié, après la guerre de 1967, avec des dizaines d'orphelins aux USA «où une vie meilleure les attendrait». De tout cela rien ne fut. Et le Palestinien revint aigri de ce séjour à Houston, (destiné plus à déraciner des jeunes Palestiniens qu'à les aider) il est donc devenu cet «Américain» (sic) qui vit d'expédients et d'autres trafics plus ou moins illicites... La démarche d'Amos Gitaï est sincère mais son propos cinématographique est trop laconique pour pouvoir s'inscrire dans la durée. Dommage. Dommage aussi pour Wim Wenders revenu avec Don't Come Knocking pour raconter une histoire de paternité sur fond de paysage fordien, celui de Rio Bravo... Mais le cinéaste de Paris Texas tombe dans le piège (fatal) de l'auto-citation. Sam Shepard (scénariste de Wenders depuis sa période américaine,) a écrit pour lui-même le rôle de Spence, qui disparaît d'un tournage de western pour aller se réfugier chez sa mère, qu'il n'a pas revue depuis 30 années ! Cette même mère qui lui apprendra au détour d'une conversation qu'une femme l'a cherché pour lui annoncer qu'il a un fils de 19 ans ! Ce que Spence va réfuter dans un premier réflexe. La mère recevra aussi un agent de police des assurances (du film) sur les traces de son acteur de fils... Ah, la mère, n'est autre que Eva Marie-Saint, pour les cinéphiles elle a été l'inoubliable partenaire de Gary Grant dans... La Mort aux trousses !... Joli clin d'oeil de circonstance de Wenders à la gent cinéphilique, c'est le seul qui soit discret, sinon, le reste, comme dit plus haut, est à l'encan. Ou à l'emporte-pièce... Jessica Lange ne pourra pas non plus, dans le rôle de la génitrice abandonnée, sauver les meubles, qui flottent dans une mer des souvenirs «wendersiens» qu'on aurait voulu plus houleuse... Alors on se dit que dans la section Un Certain Regard le film rattrapé en dernière minute, vaut peut-être le déplacement. Marock de Leïla Marrakchi, une co-production maroco-française à laquelle se sont joints Canal Plus et FR3 ! «Casablanca, l'année du bac. L'insouciance de la jeunesse dorée marocaine et tous ses excès : course de voitures, amitiés, musiques, alcool mais aussi l'angoisse de passer à l'âge adulte (etc....)». Le synopsis dit cela et plus, sauf que même l'âge adulte (les parents et les gens de maison notamment) ne semble pas donner plus d'informations sur le reste... A cela il faudra ajouter une histoire de Roméo et Juliette sur fond judéo-arabe, que la cinéaste après l'avoir menée n'importe où (et n'importe comment) la résout dans un crash automobile fatal pour le fils Benchetrit... Dès le départ, un sous-titre annonce que l'action se situe en 1997 et pour ceux qui n'ont rien saisi, avec un peu de chance, ils auront entraperçu le roi Hassan II (Paix à son âme) diriger la prière de l'Aïd el Fitr, sur un écran télé trônant dans cet immense salon de cette famille bourgeoise, où «personne ne fait plus le ramadhan, sauf le jeune fils ( frère de Rita, la Lolita de Casa) revenu de Londres avec un air absent et une barbe (bien taillée) qu'il faudrait décoder...» «... Les choses ont changé depuis la mort de Hassan II. Aujourd'hui, avec la volonté de notre nouveau Roi Mohamed VI les choses ont bien changé, se sont un peu plus équilibrées avec l'émergence d'une classe moyenne» (etc.) Miraculeuse middle-class marocaine qui émerge en l'espace d'un seul lustre, cinq années seulement !... Enfin si elle le dit, il faut la croire, en tout cas, elle ne l'a pas filmé cette absence de «classe moyenne», le seul non-bourgeois de «Marock» est un prof de maths (en cours particulier, faut pas charrier quand même) au physique ingrat et qui prononce «corbe» pour signifier la forme incurvée. «J'ai grandi dans ce milieu hypocrite (celui des privilèges)» affirme la jeune cinéaste. Mais, un long métrage après, on ne saura toujours pas ce qu'elle en pense. Il est certain que l'on ne va pas jeter la pierre à cette progéniture, première victime de cette classe parentale aisée. Mais, devant l'absence d'exposition de la catégorie «adulte», celle des parents, on se contentera d'avoir été témoin passif et gêné d'un épisode de Hélène et les garçons feuilleton français que cette même adolescence «torturée» doit suivre passionnément à l'ombre des ryadhs ombragés.