L'annonce par Irbil (capitale du Kurdistan irakien) de l'organisation d'un référendum pour l'indépendance le 25 septembre prochain, remet le Kurdistan à l'ordre du jour. Cette annonce a fait réagir Baghdad fermement opposé à cette initiative, mais aussi Ankara et Téhéran. Si l'Irak - à son corps défendant - et ses voisins se sont accommodés [depuis 27 ans] d'un Kurdistan autonome, leurs réactions montrent qu'ils ne sont pas prêts de cohabiter avec un Kurdistan indépendant. Sans doute qu'on n'en est pas encore là. Toutefois, les autorités kurdes ont franchi le Rubicon, sachant les obstacles qu'ils auront à franchir sur le chemin escarpé de l'indépendance. Il ne fait aucun doute que les Kurdes (d'Irak) sont acquis à l'indépendance de leur territoire. Dès lors, le référendum du 25 septembre ne sera qu'une formalité qui consacrera un fait si ce n'est de droit, du moins de facto. Toutefois, le destin du Kurdistan ne lui appartient pas qui dépend de paramètres qui lui échappent et du vouloir de ses voisins. Ainsi, un Etat kurde viable, dans le contexte actuel, est une impossibilité tant au point de vue sécuritaire, économique, que diplomatique. Il n'est pas acquis en effet qu'un Kurdistan indépendant bénéficiera d'une reconnaissance étrangère automatique, en rapport notamment de l'insoluble question des frontières entre l'Irak et le futur Kurdistan indépendant. Cela, outre que Baghdad tient à l'intégrité territoriale de l'Irak. L'autre difficulté est que le Kurdistan est enclavé dans l'Irak, la Turquie, l'Iran et la Syrie, pays où vivent d'importantes minorités kurdes. D'où le refus d'Ankara et de Téhéran, de voir un Etat kurde s'ériger à leurs frontières. L'autre obstacle qui met en équation la viabilité d'un Etat kurde est la division des Kurdes au plan interne que régional. Le Kurdistan irakien - autonome depuis 1990 suite à la guerre du Golfe - a pris de l'avance sur les Kurdes de Turquie [en révolte depuis 1984], de Syrie [qui se sont autonomisés et pris leur distance de Damas depuis la guerre de 2011] et d'Iran. Divisés entre la Turquie, l'Irak, la Syrie et l'Iran le Kurdistan a fait les frais des accords entre les vainqueurs de la Grande Guerre (1914-1918) et des appétences des grandes puissances. Or, le traité de Sèvres de 1920 prévoyait l'indépendance du Kurdistan. D'autre part, les Kurdes - qui ne sont ni des Arabes ni des Turcs ou des Iraniens - n'ont jamais eu un projet unitaire et ont lutté pour leurs droits de façon dispersée. Il y a aujourd'hui un fait patent: l'Irak et la Syrie ont perdu toute autorité sur leurs minorités kurdes. La Turquie et l'Iran maintiennent leur ascendant par la répression. Aussi, l'annonce du référendum au Kurdistan irakien, qui suscite une levée de boucliers de la part du gouvernement de Baghdad, de la Turquie et de l'Iran, induit cependant une phase nouvelle dans le contentieux kurde. En fait, le Kurdistan irakien - qui échappe totalement à l'autorité de Baghdad - est entré de plain-pied dans la logique de l'indépendance depuis près de trois décennies par la création des institutions d'Etat: gouvernement, Parlement, emblème et hymne nationaux, armée nationale (les peshmergas). De fait, le Kurdistan irakien est un Etat dans l'Etat ayant établi des relations plus ou moins officielles avec de nombreux pays étrangers qui équipent son armée et forment son personnel militaire. Or, l'un de ces pays n'est autre que la Turquie, qui ces dernières années a fait beaucoup de zèle en direction d'Irbil formant les Peshmergas et achetant son pétrole. En effet, Ankara a joué un jeu trouble, voire dangereux, instaurant des relations à la carte avec ses voisins kurdes. Autant la Turquie mène une guerre sans merci à ses Kurdes, autant elle a des relations quasi d'Etat à Etat avec le Kurdistan irakien. Ankara entretenait par ailleurs des relations ambivalentes avec les Kurdes syriens jusqu'au moment ou ces derniers sont devenus une force avec laquelle il fallait compter, passant du coup d'amis à ennemi de la Turquie au même titre que le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan turc) L'autre fait à relever est la position ambiguë des Etats-Unis sur la question des Kurdes. A l'origine de l'autonomie du Kurdistan irakien - le soutenant militairement et financièrement -, Washington a mis sur liste noire des organisations terroristes le PKK pour complaire à son allié turc, membre de l'Otan. Des forces spéciales états-uniennes aident sur le terrain les YPG (branche armée du parti kurde syrien du PYD) à combattre Daesh. En fait, les Kurdes, instrumentalisés depuis les débuts du XXe siècle, constituent un cas d'école d'un peuple partagé et mis à l'encan. Dans un Moyen-Orient complexifié par les ingérences étrangères, les Kurdes constituent l'autre bombe à retardement d'une région prise en otage par les puissants. Dans ce contexte, un Kurdistan indépendant, ce n'est certes pas pour demain!