Le comité préparatoire de mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur vient de rendre publiques les conclusions des ateliers tenus avec les représentants du gouvernement et de la présidence. C'est une remise à zéro de tous les efforts consentis jusqu'ici. Le communiqué parvenu aux rédactions efface, d'un trait de plume, la dichotomie entretenue entre «modérés», dits «taïwan» et les «radicaux». Ce qui était censé être la mise en oeuvre des revendications du mouvement citoyen s'est transformé, par la magie d'un communiqué, en une surenchère qui va au-delà des positions des jusqu'au-boutistes. Ce durcissement répond-il à un conflit né durant les travaux d'ateliers? Ou est-ce une stratégie concertée entre les deux parties pour couper l'herbe sous le pied de tous les oppportunistes, et en même temps crédibiliser le «comité préparatoire»? Mais le plus probable est que «les citoyens libres», accusés de collusion avec le pouvoir, font eux-mêmes dans la surenchère en grevant certaines revendications de conditionnalités qui en rendent la satisfaction difficile, voire impossible. C'est le cas de tamazight, langue nationale et officielle, «à satisfaire avant les élections» ou «le retrait immédiat du corps de la gendarmerie de toute la Kabylie». Mais si, contre toute attente, le pouvoir venait à accepter telles quelles, les conclusions des ateliers? Les radicaux accepteraient-ils alors la démarche des modérés, que le député Mira, insultant, traitait de «Kabyles de service»? Les partis politiques reviendraient-ils au devant de la scène pour gérer l'après-crise? Sera-t-il mis fin à cet anachronisme qui n'a démontré que son inefficacité, ses déchirements, en un mot, son «incompétence» à gérer la modernité? Maintenant que les ateliers ont clos leurs travaux, la balle est dans le camp du gouvernement. Le silence qu'observent les services de M.Benflis n'aide pas à la compréhension de la situation, ni à sa projection ne serait-ce que pour les quelques jours à venir. Mais il est certain que M.Benflis, en tant que chargé par le Président de la République de le représenter dans le règlement de la crise, est en demeure d'annoncer un minimum de mesures immédiates, extraites de la plate-forme de revendications. Une source proche du cabinet du Chef du gouvernement estime qu'«il est possible d'annoncer d'ores et déjà l'institutionnalisation de tamazight et de procéder au règlement des indemnisations des victimes». Les partis politiques n'ont toujours pas réagi, à l'heure où nous mettons sous presse. Cependant, la position de certaines formations peut être appréhendée en fonction de leur score possible aux prochaines échéances électorales. Pour le FFS, dont l'image n'a pas beaucoup souffert durant ces huit derniers mois, la tendance est à la normalisation. Le parti d'Aït Ahmed table sur un carton électoral, du moins en Kabylie. Donc, ses cadres sont plus que jamais intéressés par la tenue du scrutin dans les délais normaux. Ils agiront donc dans ce sens. Quant au RCD, qui s'est discrédité autant par ses tentatives de rapprochement du FFS que par ses manoeuvres au sein du mouvement citoyen, il n'a pas intérêt à ce que des élections se tiennent dans l'immédiat. Le parti du docteur Sadi fera donc tout pour qu'aucune issue ne soit possible à la crise qui oppose désormais, non plus la Kabylie au gouvernement, mais les coordinations au gouvernement. La population, pour sa part impuissante, assiste aux gesticulations du monstre qu'elle a enfanté dans la foulée d'un printemps dont les fleurs n'ont donné aucun des fruits promis. La dégradation de la situation sécuritaire, la démobilisation des services de contrôle font le bonheur des truands, des commerçants véreux et autres terroristes. A moins que les «autres» n'aient raison, quand ils soutiennent que le pouvoir algérien, tel qu'il est, est incapable de vivre, ni même d'appréhender la démocratie directe, qui consiste à débattre avec les citoyens de leur destin, et non avec des représentants issus de la fraude électorale. C'est-à-dire une clientèle tenue en laisse.