L'incertitude gagne Erbil La fin de Daesh étant désormais acquise, les capitales de la région sont toutes d'accord pour siffler la fin de la récréation et demander aux combattants kurdes, qu'ils soient peshmergas ou autres, de regagner sagement leurs pénates, faute de quoi la «punition» sera sévère. Comme il fallait s'y attendre, le torchon brûle entre les partis politiques de la région kurde autonome en Irak, notamment entre l'UPK et le PDK de Barzani qui accuse son rival d'avoir sciemment livré les zones occupées en 2003 lors de l'invasion américaine, puis en 2014 avec la déferlante de Daesh, à l'armée gouvernementale. Celle-ci n'a pas en effet rencontré la moindre résistance au cours de son avancée puisqu'elle a repris l'ensemble des points concernés dont la ville de Kirkouk elle-même en moins de 48 heures. Le Kurdistan autonome a donc retrouvé ses contours d'avant 2003 en même temps qu'il a perdu les puits de pétrole dont il a tiré durant plus d'une décennie des dividendes contestés par Baghdad. L'UPK qui fut la première organisation à créer une branche militaire féminine totalisant environ 500 combattantes sous la houlette du colonel Nahida Rashid dans la base de Soulimayniyeh entretient des relations cordiales aussi bien avec Téhéran et Ankara qu'avec le régime irakien et c'est pourquoi ses forces n'ont pas bougé d'un iota au cours de l'offensive décriée par le PDK. Prenant acte de la réalité du terrain, ce dernier propose aujourd'hui à Baghdad un «dialogue» qu'il refusait farouchement au moment de la tenue du référendum d'indépendance, deux semaines auparavant. Il est vrai que l'intervention de l'armée irakienne jusque dans le fief d'Erbil où les symboles de l'Etat central ont été aussitôt rétablis ne laisse pas grand choix à Massoud Barzani dont les soutiens implicites ont fondu comme neige au soleil. Ni les Etats-Unis, jusque-là ambigus au point d'alterner le chaud en encourageant les velléités indépendantistes et le froid en appelant à la retenue, ni même Israël qui a promis monts et merveilles aux Kurdes pourvu que leur Etat indépendant soit proclamé n'ont réagi à la nouvelle donne, préférant attendre l'inévitable décantation qui devrait intervenir dans les prochains jours ou, au plus tard, les prochaines semaines. Tant que la guerre contre Daesh a duré, la coalition internationale conduite par les Etats-Unis a fait croire aux Kurdes que tout était non seulement possible mais carrément permis. C'était compter sans le courroux des pays voisins comme l'Iran, la Syrie et surtout la Turquie qui voit d'un mauvais oeil l'activisme du PKK classé organisation terroriste à la fois dans le nord de la Syrie sous l'étiquette des YPG auxquels sont apparentées les Forces démocratiques syriennes entrées tout juste à Raqqa et les peshmergas du PDK étroitement imbriqués dans la lutte des Kurdes de Turquie contre le régime d'Ankara. Il y a un an à peine, l'avancée des combattants de l'UPK comme du PDK vers des zones comme Kirkouk ou Baachiqa, loin du territoire autonome du Kurdistan irakien, semblait ne gêner personne. Et pour cause, elle permettait de réduire la présence de Daesh et de préparer la fin de l'Etat islamique à la fois du côté de Mossoul et de Raqqa. Cette fin étant désormais acquise, les capitales de la région sont toutes d'accord pour siffler la fin de la récréation et demander aux combattants kurdes, qu'ils soient peshmergas ou autres, de regagner sagement leurs pénates, faute de quoi la punition sera sévère. C'est précisément le message qu'a envoyé Baghdad en fermant toutes les liaisons aériennes et terrestres ainsi que les activités économiques majeures (banques, commerces etc) afin de reprendre au plus vite la maîtrise complète de la situation dans un Kurdistan qui doit se réadapter à son statut de région autonome après avoir rêvé d'une indépendance virtuelle. La réalité géopolitique est telle qu'un rêve de cette nature ne saurait être faisable parce qu'il ne saurait être viable. Le mois d'octobre en aura apporté la preuve concrète. Après le référendum d'indépendance interdit par Baghdad le 25 septembre dernier, l'armée irakienne aidée par des milices chiites soutenues par Téhéran a lancé une opération éclair grâce à laquelle elle a repris Baachiqa, Kirkouk, le barrage de Mossoul et le mont Sinjar pour ne citer que ceux-là. Pour avoir une idée précise de la déconvenue des peshmergas, il faut savoir qu'ils ont perdu, en 24 heures, 90% des zones qu'ils avaient «conquises» entre 2003 et 2014. Du coup, les revoilà astreints à la «ligne verte», cette démarcation entérinée avec le cessez-le-feu entre Kurdes et Baghdad en 1991 et qui constitua le socle de la Constitution de 2005. Pour nombre d'observateurs, le Kurdistan autonome est bel et bien réduit à une sorte de no man's land, les conséquences du blocus aérien imposé par Baghdad ne devant pas tarder à se faire sentir ainsi que celles de la perte des ressources pétrolières, sans compter les effets des frontières verrouillées par l'Iran et la Turquie. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour comprendre, dès lors, que les Kurdes sont revenus à leur situation des années 1980, les accusations échangées entre UPK et PDK annonçant des lendemains problématiques entre les frères ennemis, avec des élites délitées et le manque d'institutions solides.