En fait, leur état-major a comme calcul de concentrer l'essentiel des forces à Kirkouk dont il voudrait défendre coûte que coûte l'appartenance kurde. La bataille de Mossoul aura défrayé la chronique tout l'été tant que durait la résistance des éléments de Daesh face aux assauts conjugués de l'armée irakienne et des forces alliées dont la coalition internationale conduite par les Etats-Unis. Mais, dans le même temps, une autre bataille se profilait du côté de Kirkouk, capitale du pétrole très convoitée, près de la frontière virtuelle du Kurdistan irakien, où s'épient dans un bruit de fer et d'enfer les peshmergas et les miliciens chiites équipés par le voisin iranien. L'EI a livré les derniers barouds, laissant place à une situation explosive que le récent référendum pour l'indépendance du Kurdistan a envenimé au point que tout le monde redoute une nouvelle guerre dans un pays déjà meurtri. Sous la houlette de Téhéran, les miliciens chiites de la brigade Saraya al Khorassani ont pris les dispositions afin de parer à toute éventualité. Mais ils ne sont pas les seuls. Tout une kyrielle d'autres milices chiites arabes et turkmènes sont déjà positionnées, dans le même but. Faire barrage aux prétentions des Kurdes de continuer à exploiter le pétrole de Kirkouk alors que le régime irakien les a sommés de se retirer des puits dont ils se sont emparés en 2008, notamment. Daesh a pris le soin d'y mettre le feu, au moment où il s'est vu contraint de procéder à la retraite ou à la dispersion. Des combats sanglants ont déjà eu lieu entre ces milices regroupées au sein d'un Hachd al chaabi (groupes de vigilance populaire) et les peshmergas qui tentaient de profiter de la déroute de l'EI pour grignoter encore du terrain, exactement comme ils l'ont fait en 2014 quand ils se sont emparés de plusieurs puits de pétrole. Le référendum d'indépendance du 25 septembre dernier a ainsi touché des circonscriptions dont Baghdad considère qu'elles relèvent de son autorité, aggravant les tensions entre les communautés kurde, turkmène chiite et arabe sunnite dans cette région de Kirkouk. Ainsi, aux attaques des peshmergas à Touz Khormatou, à 60 kilomètres au sud de Kirkouk, une localité où coexistent tant bien que mal des Kurdes, des Turkmènes et des Arabes, répondent des expéditions punitives des miliciens chiites. Pourtant, les armes des uns et des autres se retrouvent dans un front commun quand il faut combattre les éléments de Daesh, même si un grand nombre de Kurdes se revendiquent de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), une organisation politico-militaire proche de...Téhéran. Ceux-ci sont dans un étrange dilemme, rejetant catégoriquement les frères ennemis du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Barzani, président en exercice de la région kurde d'Irak et artisan provocateur du référendum d'indépendance. Un Barzani qui fut longtemps proche des autorités turques avant de leur tourner casaque, en caressant le rêve fou d'une alliance victorieuse avec les frères kurdes de Syrie, d'Iran et...de Turquie! Pour les Kurdes de l'UPK, le danger que faisait courir Daesh d'une division des pays de la région en Etats sunnite, chiite et kurde est absolument semblable à celui que veulent entreprendre Barzani et ses commanditaires. Aussi, se disent-ils prêts à combattre sans merci tous ceux qui souhaitent la partition de l'Irak, y compris le PDK. Celui-ci a déjà fort à faire avec l'armée irakienne qui a repris plusieurs des positions occupées en 2014 par les peshmergas, notamment dans les zones pétrolières. Les milliers de peshmergas mobilisés par Erbil pour défendre ces positions, soi-disant acquises de haute lutte, ont abandonné sans combattre plusieurs zones dans le sud de la province de Kirkouk, mais leur repli stratégique ne peut se poursuivre indéfiniment. En fait, leur état-major a comme calcul de concentrer l'essentiel des forces à Kirkouk dont il voudrait défendre coûte que coûte l'appartenance kurde. Une gageure car aux tentatives d'établir un dialogue avec le gouvernement irakien pour des «négociations amiables», l'armée répond par un niet catégorique et maintient sa pression en vue de reprendre entièrement Kirkouk. Des proches du Premier ministre Jassem Jaafar ne cachent guère le fait que les unités d'élite de la police et du contre-terrorisme et les Unités paramilitaires de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi, en arabe), sont en train de se positionner en vue de récupérer la totalité des champs de pétrole dont se sont emparés les peshmergas» en 2014. le rapport de force étant par trop inégal, il ne reste plus comme solution raisonnable aux peshmergas qu'un retrait en bon ordre dans les tout prochains jours. Si Barzani tergiverse, il mettra ses troupes dans une situation désespérée comme l'en a explicitement averti le chef de la puissante milice Badr, armée par Téhéran, qui estime que la reprise des territoires pétroliers «est un devoir» pour l'armée irakienne. Après avoir répété que l'armée irakienne à laquelle il ne reste plus qu'une seule zone à conquérir avant Kirkouk ne fera pas la guerre aux Kurdes, Baghdad a brusquement durci le ton, dés le lendemain du référendum d'indépendance, multipliant les sanctions et autres mesures punitives jusqu'à asphyxier une région entièrement dépendante économiquement, malgré son autonomie. A tel point que le Premier ministre du Kurdistan irakien, Netchirvan Barzani, a lancé un appel pathétique au grand ayatollah Ali Sistani pour désamorcer la crise et empêcher une nouvelle guerre. Mais sera-t-il seulement entendu?