Tout était réglé comme sur du papier à musique, et pour cette raison, les regards sont braqués sur le Kurdistan irakien, théâtre - il y a quelques jours - d'un congrès du PKK turc, et hier de l'élection d'un chef de l'Exécutif local. Autant dire que le Kurdistan irakien se dote d'institutions qui font grincer des dents du côté turc de la frontière où l'on appréhende la proclamation d'un du même nom, ce qui porterait la contagion dans le Kurdistan turc. A vrai dire, les Turcs ont accru leur surveillance et leurs avertissements dès l'été 2002, soit près d'une année avant l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis et l'émergence sur la scène politique locale de la communauté kurde, dont un des leaders, Jalal Talabani, a été désigné chef de l'Etat irakien. Un joli pied de nez à l'histoire d'où les Kurdes étaient exclus, voire pourchassés. Moment de grande solennité hier lorsque le Parlement kurde, réuni à Erbil à 350 km au nord de Baghdad, a élu à l'unanimité de ses 111 membres, Massoud Barzani président de la région autonome du Nord du pays et décidé de repousser à demain son investiture. M. Barzani a obtenu les voix des 42 députés de sa propre formation, le Parti démocratique du Kurdistan, les 42 de l'Union démocratique du Kurdistan (UPK), de son allié le président Jalal Talabani, et les 27 autres des petites formations kurdes, a-t-on annoncé après le vote. « Le choix de M. Barzani à la présidence de la région couronne des centaines d'années de lutte, jalonnées de milliers de martyrs », a déclaré après le vote le président du Parlement kurde, Adnane Al Mufti. « La prestation de serment, qui était prévue aujourd'hui, a été repoussée à mardi, plusieurs responsables n'ayant pas pu arriver à Erbil en raison des conditions atmosphériques », a-t-il dit en référence à une tempête de sable. « Je félicite les Kurdes, les familles des peshmergas (combattants kurdes) en cette journée qui verra l'un des leurs devenir président du Kurdistan pour oeuvrer à protéger leurs droits et défendre leurs intérêts. C'est une journée historique que tous les Kurdes doivent célébrer », a-t-il déclaré. Le chef de l'assemblée Adnane Al Mufti a déclaré vendredi que le Parlement devait élire au poste de président de la région autonome, M. Barzani, fils du légendaire Mollah Moustafa Barzani, père du nationalisme kurde. La réunion s'est d'ailleurs tenue sous un portrait géant du chef défunt qui avait revendiqué au milieu du siècle dernier l'autonomie et les bannières kurdes, vert, blanc et rouge avec un soleil jaune et du drapeau irakien d'avant l'arrivée au pouvoir du parti Baâth, du président déchu Saddam Hussein. Les deux grandes formations de la région le PDK et l'UPK ont voulu donner à la réunion un éclat particulier. Anciennes rivales qui se sont affrontées dans le milieu des années 1990 pour le partage des revenus de la région alors qu'elle échappait au contrôle du gouvernement de Saddam Hussein, les deux formations kurdes ont forgé une alliance depuis la chute de l'ancien régime en avril 2003 pour défendre l'autonomie de leur région, dans un Irak fédéral. Mais le PDK et l'UPK ont mis quatre mois, après les élections générales du 30 janvier, pour parvenir à un accord sur la présidence de la région, une entente qui a permis de réunir le 4 juin le Parlement régional kurde. En contrepartie du soutien du PDK à la candidature de M. Talabani à la présidence de l'Irak, qu'il a effectivement assumée le 7 avril, M. Barzani a obtenu celle de la région kurde pour une période de quatre ans. Qu'en est-il par ailleurs des relations avec les autres composantes de l'échiquier ethnique et politique irakien, et des voisins principalement la Turquie attentive tout ce qui se déroule à ses frontières ? L'on se rappelle que l'actuel chef de l'Etat irakien, Jalal Talabani, s'était montré rassurant avec les autorités turques dès l'été 2002, en rappelant qu'il n'était pas question de proclamer un Etat kurde. La question avait été relancée, avec la bataille de Kirkouk que les Kurdes d'Irak voulaient élever au rang de capitale de leur territoire. Mais c'était le pétrole qui suscitait les convoitises, car estimaient certains spécialistes, en accaparant Kirkouk, les Kurdes d'Irak allaient se donner les moyens de leur politique. Ils avaient sous leurs pieds un fabuleux réservoir de pétrole. Les Kurdes qui disposent de nombreux symboles de souveraineté, franchiront-ils d'autres paliers ?