L'Algérie n'avancera pas si la commune recule Dans un mois, les Algériens éliront leurs nouveaux maires ou reconduiront les sortants. En principe, leur choix dépendra de la personnalité et de l'oeuvre du candidat, mais en réalité le scrutin est soumis à d'autres critères et calculs. Voici une remontée dans le temps pour retrouver les origines de la galaxie municipale. C'était en juin 1967, il y a donc cinquante ans, que la première élection municipale a été organisée en Algérie. La nouvelle République qui fêtait alors le cinquième anniversaire de sa naissance voulait se doter de cette institution de base pour consolider son autorité au niveau local. Sauf qu'à l'époque le régime politique était monopartiste et centralisé à outrance. Les élus étaient tous désignés par le système et servaient ses objectifs, parfois au détriment de revendications citoyennes. L'acte de mettre le bulletin dans l'urne était donc une formalité réglementaire, sans conséquence sur le résultat final. Les maires représentaient l'Etat et ne rendaient compte qu'à lui. Cette fonction avait très peu évolué durant toute la décennie qui avait suivi. Mais à partir des années 1980, avec les mouvement sociaux qui commençaient à bouleverser certaines villes et régions, le rôle du premier magistrat municipal avait pris peu à peu de l'importance. Premier recours officiel des habitants et déversoir de leur colère en cas de problème, le chef de l'Assemblée populaire communale devenait ainsi un personnage-clé. Inscrit dans un réseau de relations, il fédérait un faisceau d'intérêts familiaux, claniques ou tribaux, mais en étant soumis aux injonctions du pouvoir central. Après l'ouverture du champ politique au multipartisme qui a suivi les événements du 5 octobre 1988, la commune est devenue un enjeu politique de première importance. Le maire ne représentait plus l'Etat, mais un parti au pouvoir ou de l'opposition, et même lorsqu'il affichait un statut d'indépendant, l'appareil n'est jamais loin. En organisant ses premières élections libres le 12 juin 1990, l'Algérie a vécu son premier choc politique majeur. Ce jour-là, le Front islamique du salut dissous a remporté 953 communes sur 1541 et dans 32 wilayas sur 48. Le séisme était accompagné d'une profonde remise en cause idéologique de la République algérienne au niveau des commune qui lui disputaient désormais sa souveraineté. La suite, tout le monde la connaît: arrêt du processus électoral et dissolution des instances élues dont les Assemblées locales. Ce n'est que cinq ans plus tard que, avec le retour à la «légalité constitutionnelle», les élections municipales avaient été de nouveau autorisées. Celles-ci deviennent aujourd'hui un enjeu intermédiaire pour les partis et une occasion de tester leur poids sur l'échiquier, mais pour les individus qui briguent le siège, il en va autrement. Un maire détient en effet de larges attributions et prérogatives. Il est, pour ainsi dire, le chef d'un Etat miniature dont il gère le budget, commande les forces de sécurité, approuve les projets et agit d'une manière quasi autonome pour tout ce qui concerne son territoire. Voilà pourquoi la fonction aiguise l'appétit des aspirants au pouvoir et certains individus sont prêts à utiliser toutes les ficelles y compris l'achat des voix pour se faire élire. Leur motivation dépasse bien entendu l'honneur de servir l'intérêt général. Les APC offrent d'autres avantages que le salaire, le prestige et l'amour de la chose publique. Les collectivités locales sont le lieu où se décident les affectations du foncier, les marchés de la construction et d'autres activités hautement lucratives. Avec la tendance à la décentralisation annoncée par le gouvernement, les communes vont acquérir un poids encore plus considérable dans l'avenir. Elles sont appelées à devenir le véritable catalyseur de l'économie et le socle de la démocratie participative. Elles devront attirer l'investissement et faire preuve d'initiatives, comme par exemple développer le tourisme et la culture, pour ne plus vivre uniquement sur le budget de l'Etat. Actuellement, elles agissent au mieux comme des démembrements de l'administration centrale. Pourtant, le développement du pays ne pourrait avoir de sens que si elles répondent aux préoccupations des citoyens au niveau local. Dans leur majorité, les communes algériennes souffrent d'un déficit d'image. Leur hygiène, leur urbanisme, leurs prestations et la qualité de vie qu'elles offrent sont, à travers tout le pays, une source de mécontentement populaire. Et l'Algérie n'avancera pas si la commune recule.