L'affichage électoral qui fleurit ces temps-ci dans la rue et sur les réseaux sociaux contribue à tiédir davantage l'engouement populaire pour le prochain scrutin. Parfois risible et souvent maladroit, ce matériel publicitaire témoigne de la compétence de ses concepteurs. L'affiche qui fait le buzz en ce moment sur Facebook met en scène sept hommes portés par les ailes déployées et le dos d'un aigle royal américain. En kamis blanc et assis dans la posture du lotus du hata yoga, six d'entre eux encadrent un personnage qui, debout, se tient sur le dos du majestueux rapace. Enturbanné comme Sindbad des Mille et Une Nuits, il occupe le centre du poster en fier tête de liste. Ces «aigles du futur» qui représentent le Front El Moustakbel de Abdelaziz Belaïd semblent faire la promotion d'un film sur des fakirs volants produit par Bollywood. Une prestation qui leur a valu sur Facebook une avalanche de commentaires incrédules ou désopilants. «Ohooo!!!! C'est du fake j'espère», dit l'un. «L'Ahuristan dans toutes ses ahuristances», dit l'autre. «Un B52 qui va bientôt larguer Ezzag (la fiente)», conclut un troisième. L'autre parti dont l'affiche a retenu l'attention des internautes est le Mouvement populaire algérien de Amara Benyounès. Le groupe qui brigue en son nom la commune de Ain El Hdjar (Bouira ou Saïda, ce n'est pas précisé) a remplacé le portrait des deux femmes de sa liste par deux roses rouges. Les deux avocates qui postulent au mandat sont de surcroît placées tout à fait en bas du placard sous 14 hommes dont le niveau oscille entre agriculteur et enseignant. En revanche, la section du RND de Bordj Okhris (Bouira) en course pour l'Assemblée a relativement mieux traité ses femmes puisque on en voit le visage. Toutefois, ces aspirantes sont alignées, l'une à côté de l'autre, en bas du prospectus sous la figure tutélaire et abondamment moustachue du candidat principal qui domine une brochette d'hommes à l'expression sévère. Les mêmes mines atrabilaires se retrouvent aussi sur la plupart des affiches du FLN. L'écrasante majorité de ses candidats ne sourit pas, mais arbore un air grave, parfois maussade. Les effigies, déjà cernées par des cadres carrés ou rectangulaires, sont de surcroît disposées de manière symétrique autour de la figure centrale incarnée, bien entendu, par le meneur de l'équipe. En règle générale, les encarts des prétendants aux scrutins locaux, qu'ils soient militants de partis politiques ou indépendants, ressemblent à s'y méprendre aux brochures de recherche de personnes placardées dans les commissariats de police. La plupart des clichés qu'ils contiennent sont comparables à des photos d'identité et leur mise en page témoigne de l'amateurisme de leurs concepteurs. Leur charte graphique utilise une gamme réduite de couleurs avec une dominante rouge et verte rappelant les couleurs du drapeau algérien. Le tout dans le tout, il se dégage de la propagande électorale une esthétique surannée qui donne des compétiteurs en lice pour les sièges municipaux et de wilaya un aspect démodé, voire archaïque en déphasage total avec la modernité à laquelle aspire la population. Il ne faut dès lors pas s'étonner de la désaffection, pour ne pas dire le sarcasme, que provoque chez les citoyens ce matériel publicitaire destiné, en principe, à stimuler l'envie de voter. Cette forme de communication renseigne aussi sur le degré de compétence des appareils politiques en matière de stratégie électorale. Les auteurs des campagnes d'affichage possèdent souvent le degré zéro de la grammaire en usage dans les arts graphiques. Le design qui, ces temps-ci, fleurit sur les murs réels et virtuels donne du pays une image dépourvue de goût et de finesse. Et puisqu'une image vaut mille mots, selon l'adage, il y a vraiment de quoi rester muet.