Sa démission choc et son séjour mystérieux en Arabie saoudite ont fait craindre une nouvelle plongée du Liban dans le chaos, mais le retour du Premier ministre Saad Hariri ramène le pays à une situation qui lui est familière: le statu quo. Analystes et observateurs s'accordent à dire que tant que la région est profondément divisée entre l'axe saoudien, qui appuie M. Hariri, et l'iranien, qui soutient le Hezbollah, le Liban continuera de connaître une fuite en avant. Les trois dernières semaines ont constitué un épisode inédit dans l'Histoire du Liban, avec un Premier ministre qui démissionne depuis l'étranger sans avoir alerté personne, un séjour énigmatique à Riyadh et une apparente exfiltration vers la France. Beaucoup ont craint un nouveau vide institutionnel, un effondrement de la livre libanaise, ou pire des affrontements internes. Mais en suspendant sa démission après son retour au pays et en se montrant ouvert au dialogue avec son grand rival et membre du gouvernement, le Hezbollah, le protégé de Riyadh se lance dans un exercice auquel les Libanais sont coutumiers: tenter d'obtenir des compromis. «On est revenu à un de ces compromis boiteux dont le Liban a l'habitude, c'est-à-dire un compromis qui ne satisfait vraiment personne», affirme Karim Bitar, spécialiste du Moyen-Orient à l'Institut des affaires internationales et stratégiques de Paris (Iris). Pour le politologue libano-français Ziad Majed, «l'idée aujourd'hui est de limiter les dégâts». Le Liban va se retrouver «dans une situation de mise en attente, de veilleuse» pour éviter que les choses ne dégénèrent, selon lui. Même le Hezbollah, dont l'arsenal est au coeur de la discorde entre Libanais, a laissé entendre jeudi qu'il souhaitait «un retour à la normale». En annonçant sa démission, M. Hariri avait invoqué la «mainmise» de l'Iran et du Hezbollah sur les affaires du Liban et leur «ingérence» dans les conflits de la région, notamment la Syrie et le Yémen. Fin 2016, il avait cependant formé, pour la deuxième fois en sept ans un gouvernement avec le Hezbollah, malgré le grand fossé qui les sépare. En suspendant sa démission, il reprend ses fonctions, comme si de rien n'était. «Pour l'heure, le gouvernement est donc provisoirement ressuscité», soutient un éditorial du quotidien francophone l'Orient-Le Jour hier. «On peut dire que Hariri a gagné du temps mais qu'aucun des problèmes de fond n'est réglé. Dans les mois qui viennent, il va être pris entre plusieurs feux», explique M. Bitar. «D'un côté, il devra continuer à gérer ce gouvernement dont le Hezbollah fait partie, de l'autre, il ne peut s'éloigner de la ligne stratégique imposée par l'Arabie saoudite», explique l'analyste. «Il devra faire preuve d'un certain talent d'équilibriste», ajoute-t-il. «Nous devons dialoguer tous ensemble pour préserver ce pays», a indiqué M. Hariri dans un communiqué diffusé hier. D'après M. Bitar, «tant qu'il n'y a pas un vrai modus vivendi irano-saoudien, on voit mal comment le Liban pourrait être totalement 'insularisé''» des soubresauts régionaux. D'après une source diplomatique européenne, les Saoudiens ont probablement réalisé qu'ils étaient allés trop loin en forçant M. Hariri à démissionner. «Les Saoudiens n'ont pas de stratégie au Liban. Ils traitent le dossier selon leurs colères, leurs frustrations», dit-elle sous couvert de l'anonymat.«Le Liban, c'est le règne du consensus mou, tout ce que les Saoudiens détestent. Ils espèrent endiguer le Hezbollah» mais «à chaque fois en fait ils laissent du terrain aux Iraniens», ajoute-t-elle. Qu'attendre alors du retour de Hariri? Un de ses proches, le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouq, a affirmé dans une interview jeudi que le dialogue entre parties rivales ne porterait pas sur la question épineuse des armes du Hezbollah mais plutôt sur son implication dans des conflits régionaux. «Le Liban ne peut supporter (les conséquences de) (...) l'expansion du Hezbollah hors» de ses frontières, a-t-il dit. D'après des analystes, le Hezbollah pourrait faire un geste en se désengageant du Yémen, où il est accusé par Riyadh d'armer les rebelles. Mais la «politique de distanciation» du mouvement chiite réclamée par M. Hariri n'est guère réaliste, jugent-ils. Tant qu'il y a au Liban cette «guerre par procuration entre Iraniens et Saoudiens (...) les blocages institutionnels sont possibles à tout moment», estime M. Bitar. Dans un entretien avec le New York Times paru jeudi, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a qualifié le guide suprême iranien de «nouveau Hitler». «On est susceptible à tout moment d'avoir de nouveau des sautes d'humeur de Mohammed ben Salmane et les discours triomphaliste de l'Iran qui risquent de plonger à nouveau le Liban dans la tourmente».