Selon le nouveau maître de la maison Ibn Saoud, trop de laxisme a permis au rival iranien de nourrir son hégémonie au-delà des limites tacitement entendues. La démission de Saâd Hariri n'a pas encore livré tous ses secrets. Avec cette rupture d'un compromis présidentiel qui fut difficile à arracher, le départ virtuel du Premier ministre libanais obéit, c'est chose évidente, à un plan américano-saoudien qui se traduit cette semaine par le remodelage en profondeur du royaume d'Ibn Saoud. Washington a défini une stratégie qui concerne l'Arabie saoudite mais pas seulement puisque avec la Russie de Poutine, il est également question de délimiter les zones d'influence respectives dans un Moyen -Orient qui n'en a pas fini avec les conflits régionaux, loin s'en faut. L'objectif des Etats-Unis est clairement de contenir l'avancée iranienne jusque-là tolérée par Moscou, comme on a pu l'observer en Syrie et en Irak, et pour y parvenir le Liban est devenu, à son corps défendant, un maillon essentiel. Il faut se souvenir que le compromis présidentiel, avec l'élection de Michel Aoun adoubé par le Hezbollah, est intervenu au moment charnière où le président sortant américain Barack Obama cédait le relais à son successeur républicain, Donald Trump, tandis que l'Arabie saoudite baignait encore dans une espèce de torpeur inconséquente. Riyadh en perte de vitesse aussi bien en Irak qu'en Syrie n'avait alors aucune visibilité pour les autres zones de conflit que sont le Yémen et le Liban. L'arrivée inattendue du prince Mohamed ben Salmane a mis fin à cette avancée dans le brouillard parce qu'il a, d'emblée, affirmé vouloir rompre avec la démarche de ses prédécesseurs, qualifiée de timorée et d'incertaine pour avoir privilégié le compromis. Selon le nouveau maître de la maison Ibn Saoud, trop de laxisme a permis au rival iranien de nourrir son hégémonie au-delà des limites tacitement entendues. Aux yeux des Saoudiens qui partagent son point de vue, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase concerne la tenue à Raouché d'un colloque organisé par le Hezbollah qui y a invité les représentants de la rébellion houthie! Riyadh qui est encore en train d' «étudier» les dossiers des candidats au poste d'ambassadeur saoudien à Beyrouth, vacant depuis presque deux ans, a donc changé son fusil d'épaule et entend peser de tout son poids sur la situation politique qui prévaut au Liban. Voilà pourquoi Saâd Hariri s'est vu impérativement sommé d'adhérer à cette nouvelle stratégie, au point de devoir «officialiser» sa démission depuis Riyadh. Ce faisant, il témoignait «de son plein gré», comme dirait Desproges, de son adhésion pleine et entière au plan du prince héritier et de ses mentors, rompant du coup avec le tandem Aoun-Nasrallah et ouvrant la voie à un aventurisme qui risque à nouveau de plonger le Liban dans la guerre civile. Hariri avait-il vraiment d'autre choix que celui de s'incliner profondément devant le nouveau pouvoir saoudien? Sûrement non, car en tant que citoyen de ce pays auquel son clan familial doit beaucoup, il aurait eu beaucoup à perdre au moment où Mohamed ben Salmane jetait en prison, pour cause de corruption supposée, les plus hauts dignitaires du royaume! De plus, qu'avait-il à gagner en restant fidèle au deal convenu avec Aoun et le Hezbollah sinon le fait d'être rapidement sacrifié sur l'autel des intérêts des puissances rivales que sont l'Iran et ses alliés régionaux? Sa moubayaâ lui a valu en guise de reconnaissance d'être reçu par le roi Salmane en personne, en dépit du fait qu'il était «démissionnaire» car Riyadh entend préserver une carte qui lui sera tôt ou tard nécessaire. Le président Aoun, bien que pressé par diverses parties, de désigner un nouveau Premier ministre, a cru bon de temporiser, ne serait-ce que pour respecter l'ancrage juridico-politique de la démission qui, pour être valable, doit nécessairement intervenir dans un cadre strictement libano-libanais. Mais le fait est que, désormais, le Liban est bel et bien sur le fil du rasoir...