Durant 120 minutes, le spectateur est plongé dans ce passé récent où intellectuels, politiques, médecins, journalistes et inconnus sont sacrifiés sur l'autel de l'obscurantisme. La cinémathèque algérienne a accueilli, mercredi, la projection du film documentaire de Boualem Kamel. Un réalisateur pour qui l'ironie du sort a voulu que ses oeuvres cinématographiques soient, pour la plupart, censurées par la Télévision algérienne, télévision qui est la productrice de ses oeuvres. «Parce que je dérange. La télé a toujours censuré ce qui sortait des sentiers battus», souligne le réalisateur. D'encens et de mémoire s'écrivent vos noms, produit par Adonide Films, connaît le même sort. Ce documentaire de 120 minutes consacre son sujet aux intellectuels, artistes et hommes de sciences assassinés par le terrorisme intégriste à Alger, entre 1993 et 2000. Ce sont quatre mini-portraits de ces hommes qui ont forgé la société d'hier et d'aujourd'hui et dont le parcours fut hélas prématurément interrompu, fauché par le sombre dessein de ces voleurs de rêves. Des disparus symbolisent dans leur mort tragique ces milliers d'autres Algériens, connus ou inconnus, victimes de la même violence, la même barbarie. Et l'on déroule le film de l'histoire avec ses pages tristes... Le documentaire rappelle à notre mémoire le professeur en psychiatrie, Mahfoud Boucebci, le sociologue M'hamed Boukhobza, le sociologue et chercheur universitaire, Djillali Liabès, le professeur en pédiatrie Djillali Belkhenchir, le médecin et poète Laâdi Flici, le chirurgien-dentiste Mohamed Réda Aslaoui, le père Charles Deckers, le poète Youcef Sebi, l'intellectuel et moudjahid Abderrahmane Chergou, le journaliste et écrivain Tahar Djaout, le billetiste Saïd Mekbel, l'imam Mohamed Bouslimani, l'avocat et secrétaire général de la Ligue des droits de l'Homme, Youcef Fathallah et le comédien et homme de théâtre, Azzedine Medjoubi. On devine pour le réalisateur que le choix fut très difficile de mettre l'accent sur certains plus que d'autres. Plusieurs témoignages marquent le film, notamment ceux de Monseigneur Teissier, Madame Leïla Aslaoui, Dahou Djerbal, Waciny Laâredj... Le documentaire soulève une réflexion sur la raison ciblée pour laquelle ont été assassinés beaucoup de ces hommes qui étaient en avance et «représentaient une capacité pour le pays de s'en sortir», dira le chercheur, Dahou Djerbal. Les documents photographiques, les archives filmées, les extraits d'oeuvres et les écrits des disparus constituent une base importante dans l'élaboration du film. Aussi, plusieurs images sont-elles survolées comme un flash-back cependant douloureux. Et l'on revoit en quelques fractions de seconde Ismaïl Yafsah, cheb Hasni, Abdelkader Alloula et bien d'autres intellectuels et journalistes qui sont morts. D'encens et de mémoire, s'écrivent vos noms est un film qui donne la parole aux familles, collègues et proches qui rappellent qui étaient ces victimes dans leur quotidien et ce qu'ils ont laissé pour leur prochain, leur famille, leur patrie. Malgré quelques lenteurs, le film gagne en sobriété, en entrant dans l'intimité de ces gens en aucun cas larmoyant. D'encens et de mémoire s'écrivent vos noms est un film contre le silence de la mémoire. C'est aussi et surtout un film hommage à «tous ceux, connus ou inconnus, libres ou enfermés, qui se sentent emprisonnés dans l'étau de la vie et qui ont peur de la folie des hommes quand vient le temps des horreurs...». Ainsi rimait Maxime Marchand, pédagogue et inspecteur d'académie, victime lui aussi de la barbarie de l'OAS en 1962 à Alger, en compagnie de ses collègues et amis Salah Ould Aoudia, Marcel Basset, Ali Hamoutène, Mouloud Feraoun et Robert Aimard, indique le réalisateur. Son nouveau documentaire se veut, enfin, un rappel contre l'oubli d'un engagement continu pour une Algérie libre, moderne et démocratique. Si la mort a eu raison de milliers de personnes, leurs oeuvres, leurs efforts et leurs idées sont présents. Leur combat n'a pas été vain, c'est ce que tend à nous faire comprendre ce documentaire, utile.