Militante infatigable, «patriote ingérable», Mme Ouzeggane nous livre dans cet entretien sa vision sur la situation sociale et politique au plan national et s'exprime sur les relations algéro-françaises. L'Expression: Mme Ouzeggane, avec d'autres femmes et d'autres hommes, vous avez participé à la libération de ce pays. Comment vous apparaît l'Algérie de 2005 et croyez-vous en des lendemains meilleurs? Mme Fettouma Ouzeggane: Malgré le chaos organisé, c'est l'avant-garde qui a fait avancer les choses. L'optimisme ne me quittera qu'avec mon dernier souffle. La dynamique de cette jeunesse qui se bat quotidiennement dans la rue, représente pour moi le plus grand espoir. C'est une dynamique à laquelle je crois et qui me conforte dans mon optimisme. Je refuse de dire que ces jeunes sont des aventuriers. L'Etat se doit de les écouter, de leur donner de l'espoir. Ces jeunes n'ont pas trouvé un véritable cadre pour s'exprimer et nous devons aider à les encadrer. Malgré la volonté politique du président, quelles que soient ses bonnes intentions pour changer la situation, il ne peut réussir son projet sans le concours de la société civile. On a des exemples de dépassement chaque jour que Dieu fait. Il n'y a qu'à aller s'enquérir de la situation des citoyens qui subissent le martyre des responsables. Certains walis se comportent en shérifs au niveau de leurs localités où ils ont le droit de vie ou de mort sur les citoyens. Les journalistes font de la diffamation, les citoyens des émeutes et les partis politiques ne sont pas représentatifs, il y a donc un problème! Dans ce cas, il faut régler le problème et chercher où se situe la faille si tout ce beau monde est sur le mauvais chemin. Comment le président pense-t-il régler ces problèmes? Il y a une volonté politique qui se dessine, qui veut s'implanter mais le constat est que rien n'avance réellement sur le terrain. Eh bien, cette chaîne ne peut être brisée que si le peuple est respecté et considéré. Jusqu'à nouvel ordre, le peuple n'est pas respecté. Cette chaîne est constituée de chefs de daïra, de walis, de juges, de commissaires et même de ministres. Elle ne peut être brisée que par le peuple avec lequel le président pourra réussir sa démarche. Il n'est pas possible de voir ce peuple géré par des oligarchies après un combat millénaire qui a mené les Algériens à l'indépendance au prix fort: les enfumades, la répression, les tortures, la prison, les expropriations. En outre, il ne faut pas attendre de l'étranger qu'il vienne implanter la démocratie dans notre pays. Les Américains ne nous connaissent pas comme ils connaissent les pays arabes qu'ils ont côtoyés pendant cinquante ans. Sur tous les plans, les Algériens n'ont rien à prouver. Pendant douze ans, les Etats-Unis et l'Europe décidaient d'un Etat islamique pour nous alors qu'on se faisait massacrer, assassiner et égorger sans que personne ne réponde à nos cris au secours. Maintenant qu'ils en ont eu pour leur compte, ils prennent subitement conscience du danger. Quelle leçon de démocratie peut-on recevoir aujourd'hui d'eux? Ils n'ont pas compris que ce qu'ils ont eu en deux siècles nous l'avons eu en quarante ans. Cela dit, le terrorisme est condamnable quels que soient le lieu et le pays où il frappe. Issue d'une famille révolutionnaire, Fettouma Ouzeggane s'est vu confier des tâches de liaison et d'hébergement dès le début de la guerre de Libération. Après la mort de son mari en 1957, elle prend une part plus active dans les opérations de la Zone autonome d'Alger. Recherchée puis arrêtée en décembre 1957 par les parachutistes. Jugée en même temps que son père Saïd Ouzeggane et son oncle Amar Ouzeggane, elle a été condamnée à une année de prison qu'elle passera à Barberousse et Maison-Carrée. Elle a été arrêtée pour la deuxième fois en 1960 par les parachutistes, torturée et gardée au secret pendant trois mois à Fort l'Empereur. Suite à l'intervention du Cicr et de la commission de sauvegarde, elle a été expulsée vers la France d'où elle rejoindra Tunis. Proche des centres de décision à l'indépendance, elle a été marginalisée pendant longtemps avant de regagner l'opposition. Ce qui lui a coûté encore des années de prison, notamment à El Harrach et à Médéa où elle a été incarcérée en même temps que son fils Faouzi Rebaïne, condamné à 13 ans de prison. Militante infatigable, Mme Ouzeggane a participé à la création de plusieurs associations de défense des droits de l'homme et des droits de la femme.