Les héros ne meurent jamais Son cousin, mon ami Yahia Didouche, aurait trouvé en quelques mots le plus bouleversant des hommages. Il est mort pour son peuple et sa patrie... Hier, l'Algérie commémorait le 63ème anniversaire de la mort au champ d'honneur du martyr Didouche Mourad. Comme trop souvent, hélas, en ce genre de circonstances, les hommages et les recueillements se font des plus discrets et c'est à peine si on évoque, par-ci par-là, le parcours et la mémoire de ceux qui sont «tombés pour que vive l'Algérie». En ce 18 janvier 1955, vers trois heures du matin, venant des Aurès, Didouche Mourad et ses compagnons parvinrent au douar Souadek, dans la commune de Condé-Smendou. Son adjoint, Zighoud Youcef qui était natif de la région, en était également le responsable. Didouche et ses hommes avaient besoin de se reposer. Zighoud avait soigneusement préparé la logistique indispensable à la sécurité du refuge. Mais toutes les précautions se révélèrent vaines car les indicateurs qui avaient observé des mouvements suspects en avaient informé aussitôt la gendarmerie. C'est ainsi que dès 6 heures du matin, 12 gendarmes étaient déjà à l'affût, près du refuge où se trouvaient Didouche Mourad et ses compagnons. Les premiers tirs ont aussitôt retenti et la bataille ne faisait que commencer dans une zone de maquis touffus et en proie à une grande crue de l'oued Boukerkar, consécutivement à la forte chute de pluies pendant plusieurs jours. La gendarmerie alerta rapidement le régiment de parachutistes du colonel Ducournau qui débarqua avec 400 hommes. Le combat prenait alors une dimension épique, entre une petite équipe de maquisards à peine rompue aux techniques de la guerre et plus de 400 commandos français dont le mot d'ordre est qu'il ne devait pas y avoir de quartier. Les hommes de l'ALN, encerclés, mal armés, usés par un long trajet à travers des maquis durant plusieurs nuits, ne pouvaient résister longtemps à un véritable déluge de feu. Les premiers djounoud qui furent atteints étaient Chougui Saïd et Ali Beloucif, gravement touché à la tête. A la mi-journée, ce sont 10 martyrs qui étaient tombés au champ d'honneur. Zighoud Youcef et cinq de ses compagnons étaient parvenus à se cacher près de l'oued Boukarkar, accrochés aux seules branches qui le bordaient pour ne pas être emportés par les flots. Vers 13h, Didouche ordonna au djoundi Cheikh Boularas, caché comme lui derrière un buisson, de courir vers l'arrière pour se réfugier dans l'oued pendant qu'il continua à tirer pour couvrir sa fuite. Le djoundi s'exécuta. Quand ils se dressèrent, un para les repéra aussitôt et vida le chargeur de sa mitraillette sur Didouche Mourad qui succomba aussitôt. Ainsi est tombé le premier chef historique de la Révolution, ce qui engendra, on s'en doute, une peine immense à ses plus proches compagnons, Ben M'hidi, Ben Boulaïd, Krim Belkacem et Bitat. Didouche mort, un silence funèbre régnait dans tout le maquis. Zighoud était parvenu, en rampant jusqu'au corps de son compagnon, à récupérer les documents en sa possession. Peu après, à la nuit tombée, les paras ramassèrent les corps et s'en allèrent. Le 19 janvier 1954, l'administration coloniale exposa à la population les corps de Didouche et des 10 djoundis dans le centre de Condé-Smendou. Mais ni l'administration coloniale et ni le colonel Ducournau ne surent qui était le véritable Didouche Mourad, leurs informateurs ne disposant que de son seul pseudonyme Si Abdelkader. La dépouille de Didouche fut enterrée avec celles des djounoud Kerboua, Belkacem Benghersallah, Naâs Omar, Bouchriha Abbas, Ayache Youcef et Beloucif Ali dans une fosse commune par des ouvriers communaux, dans le petit cimetière de Condé-Smendou (aujourd'hui Zighoud Youcef). Le journaliste et écrivain Yves Courrière qui a consacré une imposante reconstitution des faits autour de la guerre de Libération nationale écrivit à ce sujet: «Sur le plan militaire et sur le plan psychologique, les hommes de la Zone II avaient subi une perte immense.» Didouche Mourad était né un 13 juillet 1927, à El Mouradia (), dans une famille modeste originaire d'Akfadou. Il fit ses études primaires et le cycle moyen à l'école d'El Mouradia puis rejoignit le lycée technique du Ruisseau. Pour ceux qui vivaient dans le quartier, le chahid était souvent présent à la boulangerie familiale, rue des Mimosas et nombreux ont été les gens du peuple, en proie à une grande misère, à qui il offrait du pain gratuitement tant il était conscient de la grande souffrance du peuple algérien tout entier. En 1942, il intégrait les rangs du Parti du peuple algérien, alors qu'il n'avait pas encore l'âge de 16 ans. D'un dévouement exceptionnel pour sa patrie et la liberté de son peuple qui avait tant souffert des affres du colonialisme, il allait incarner une nouvelle espérance quand il devint un des membres actifs de l'organisation secrète (OS), dès sa création en 1945. Cette organisation ayant été démantelée et l'administration française cherchant par tous les moyens à le capturer (un jugement par contumace a été prononcé contre lui, le condamnant à 10 ans de prison), il constitua, en 1952, avec Mostefa Benboulaïd, un réseau clandestin à Alger en vue de fabriquer des bombes pour le déclenchement de la Révolution. La crise de 1953-54 ayant éclaté avec l'opposition du Comité central du PPA-Mtld à Messali Hadj, il s'entendra avec huit de ses proches compagnons pour créer le Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (Crua), en prévision de la réunion des «22», en juin 1954, au cours de laquelle le déclenchement de la Révolution fut décidé par les sept chefs historiques du FLN dont il était assurément un membre emblématique.