Slimane Azem a été le repère de toute une génération d'Algériens Déjà 35 ans depuis que nous a quittés le maître incontestable de la chanson et la poésie kabyles, le fils d'Agouni Gueghrane, l'exilé éternel et l'amoureux de l'Algérie, Slimane Azem. C'était le 28 janvier 1983. L'Algérie et la Kabylie venaient de perdre un monument de la chanson, mais surtout de la poésie kabyle. Slimane Azem a été le repère de toute une génération d'Algériens, mais aussi la fontaine d'où ont puisé de grands chanteurs qui sont venus plus tard sur la scène artistique. Slimane Azem avait toutes les qualités qui pouvaient faire de lui l'artiste accompli qu'il a été. Sa voix suave de rossignol est unique. Il y a aussi ses textes d'une densité littéraire très riche ainsi que des mélodies dignes de quelqu'un qui a fait les grandes écoles de musique. En dépit d'une censure l'ayant frappé en Algérie, dont on ignore jusqu'à aujourd'hui l'origine ni le décideur, Slimane Azem s'est imposé comme le roi indétrônable de la chanson kabyle en dépit de l'existence d'autres icônes durant la même période. Mais la place de Slimane Azem était unique chez les mélomanes kabyles. Il a fallu attendre 1988 pour entendre, pour la première fois, la voix de Slimane Azem à la radio algérienne d'expression kabyle (la Chaîne 2). Pourtant, tous les responsables de la radio en question ont affirmé à maintes reprises qu'aucune décision officielle n'avait été prise pour interdire Slimane Azem à la radio. Qui est donc derrière ce sale coup? On ne le saura peut-être jamais, hormis les spéculations. Mais cette exclusion injuste n'a aucunement altéré le parcours artistique flamboyant de Slimane Azem qui est demeuré et qui demeure à ce jour ce que El Hadj M'hamed El Anka est pour le chaâbi ou ce que Jacques Brel est pour la chanson française ou encore ce que Beethoven est pour la musique classique universelle. D'ailleurs, Slimane Azem est le maître d'autres maîtres de la chansons kabyle à l'instar de Matoub Lounès qui s'est longuement inspiré, notamment de ses musiques et un peu de sa poésie. En plus d'un nombre impressionnant de compositions musicales extraordinaires dont il est l'auteur, Slimane Azem est également celui d'une oeuvre poétique à redécouvrir car foisonnant de richesses aussi bien métaphoriques que philosophiques et sociales. Le livre exhaustif du docteur Youcef Necib consacré à Slimane Azem nous donne une idée de la dimension universitaire de l'oeuvre poétique de Slimane Azem dont le thème de prédilection est certes l'exil et ses douleurs, mais aussi une infinité de sujets à caractère souvent philosophique, voire existentielle. Par exemple, dans la chanson «Ayuliw henni-yi», Slimane Azem engage un dialogue existentiel avec son coeur. Il y est question de savoir s'il y avait véritablement un chemin dans la vie qui pourrait mener à la félicité durable. Des questions sur la vie ont aussi fait l'objet de plusieurs autres titres de Slimane Azem, comme c'est le cas dans la chanson «Dunit». La nature éphémère de toutes les choses de la vie a été la matière pour pas mal d'autres poèmes de Slimane Azem. La chanson «I lukan di ulac lukan» est l'un des textes de Slimane Azem où la philosophie prend toute sa place. L'autre thème qui a eu la part du lion dans l'oeuvre poétique de Slimane Azem, c'est l'exil et l'amour de l'Algérie. La plus célèbre chanson de Slimane Azem dans ce volet, c'est sans doute «Algérie mon beau pays». Le poète blessé dans son âme y évoque les affres de l'affliction engendrée continuellement par le fait d'être loin de sa terre natale et de ne pas pouvoir s'y rendre ne serait-ce que pour quelques instants. Il serait vraiment utopique de prétendre pouvoir cerner toute l'oeuvre de Slimane Azem dans un article. Il y a juste une précision. Contrairement à tous les autres artistes kabyles, même ceux de son époque, le thème de l'amour (envers la femme) n'est pas récurrent dans l'oeuvre de Slimane Azem. Il n'a écrit qu'une seule chanson d'amour: «Nek ak dkem». Cette dernière a été exécutée en duo avec Fadhma Zohra, une artiste méconnue du grand public. Slimane Azem a signé de nombreux duos dont les plus célèbres sont ceux effectués avec Cheikh Nordine. En compagnie de ce dernier, il a également réalisé un nombre important de sketchs inhérents à la vie sociale en Kabylie et à la condition très difficile de la vie des émigrés en France à l'époque. La célèbre pièce concernant ce thème, c'est «Madame, encore à boire». Slimane Azem a enregistré des duos avec le célèbre et précurseur comédien Mohamed Hilmi. C'est le cas notamment de la chanson humoristique sociale «Debza ou dmagh» et «Tikhras i lâabd ad yehder». Un autre duo avec la chanteuse Bahia Farah est aussi à signaler. Il s'agit de la chanson «Attas a ysevregh». Une complainte d'une femme abandonnée et laissée au village par un mari absorbé par les affres et les tentations de l'exil. De nombreux livres ont été écrits sur Slimane Azem ainsi que des films-documentaires avec des témoignages d'artistes l'ayant connu et côtoyé. 35 ans après sa mort, sa place demeure toujours la même sur la scène artistique algérienne et kabyle en particulier. Tous les grands chanteurs algériens, sans exception, reconnaissent le génie inimitable de Slimane Azem et ses chansons: «A Muh à muh», «Afrukh ifireles», «A tamurtiw aâzizen», «Fegh a yajrad tamurt-iw», «Tarwi tebbarwi», etc. demeurent des chefs-d'oeuvre aussi bien au plan musical qu'au niveau de la poésie. Des dizaines de chanteurs, dont certains sont de grandes figures de la chanson algérienne, ont repris ses chansons tellement ils en ont été marqués et imprégnés. C'est le cas de Matoub Lounès, Kamel Messaoudi, Brahim Saci, Rabah Asma, Kamel Si Amour et tout récemment à la fin 2017, Mohamed Allaoua. Ce dernier a repris en effet dans son dernier album la musique et le refrain de la célèbre chanson de Dda Slimane: «Tarwi tebarwi». C'est dire, si besoin est, à quel point Slimane Azem est entré dans l'immortalité par la grande porte.