Les réformes économiques ont coûté très cher à l'Algérie: 1200 milliards de dinars inutilement dépensés dans un vain assainissement des entreprises publiques, jugez-en. Cinq cent mille emplois directement supprimés par compression, et plus de 500.000 autres en manque à gagner par arrêt de l'investissement nouveau. M.Boukrouh annonce encore 200.000 emplois à supprimer au nom de la mise en application de l'ordonnance unique du Conseil des ministres mercredi dernier. Premier militant à visage découvert de la cause de la libre entreprise en Algérie, M.Boukrouh ressort son expression du début des années 80 pour décrire la nouvelle démarche: «Mettre fin au socialisme de la mamelle.» Rappelons que cette ordonnance avait été critiquée par le docteur Mebtoul, la semaine dernière, car elle donnait au ministre en charge des réformes des pouvoirs de «vice-Premier ministre», et qu'elle ouvrait la porte «au délit d'initié». Dès le lendemain de la publication de l'opinion de M.Mebtoul, l'Adem réagit par un long texte laudatif, apportant son soutien total à M.Boukrouh, et désavouant l'un de ses membres, Le Dr Mebtoul, en soutenant l'inverse de ce qu'il avançait: «Cette ordonnance est une garantie de transparence, en ce qu'elle exclut le risque de délit d'initié», et qu'«elle (l'ordonnance, ndlr), répartissait plus judicieusement les prérogatives». Au-delà des avis experts, il faudra relever le silence approbateur de l'UGTA face au drame annoncé pour 200.000 familles qui vont perdre une source de revenus, sans aucune garantie de reconversion. Mais le pire est à venir puisque les deux cent mille emplois directs supprimés provoqueront la disparition de dizaines de milliers d'emplois indirects. En outre, M.Boukrouh affirme que «le démantèlement des barrières douanières commencera dès l'année prochaine», ce qui se traduira immanquablement par la fermeture de beaucoup d'unités de production, de micro-entreprises incapables de soutenir la concurrence des produits étrangers. Les plus forts auront jusqu'à 2005 pour se «mettre à niveau» ou disparaître. Une telle précipitation dans le démantèlement des barrières tarifaires n'est pas une exigence immédiate de l'UE ni de l'OMC. Cela rappelle un peu la politique de Ceausescu, qui a payé les dettes de la Roumanie longtemps avant leurs dates d'exigibilité, ce qui est une forme de lutte pour l'indépendance et la souveraineté. A moins que ce ne soit le syndrome russe qui se manifeste, avec sa procession de misères et de troubles qu'il a entraînés au sein de l'ex-seconde puissance mondiale. Le démantèlement ne peut être efficace que s'il est accompagné de la levée totale de toute forme de contrôle du change, c'est-à-dire une convertibilité directe du dinar, et une déréglementation du marché financier et du change. De telles dispositions attireront des investisseurs, mais aussi, et surtout, des spéculateurs. La réforme du secteur bancaire, dans de telles conditions, tendra vers la création d'établissements à caractère essentiellement commercial, qui financeront plus volontiers des opérations de commerce que des projets productifs et générateurs d'emplois. Si le principe de l'ordonnance unique est globalement positif pour accélérer le processus de réformes, il n'en demeure pas moins que, de l'avis d'experts internationaux qu'on ne peut absolument pas suspecter de «socialistes de la mamelle», tel le patron de la Federal Reserve, «les pays émergents doivent se méfier de la précipitation dans le processus de démantèlement de leurs barrières tarifaires, et surtout, maintenir un minimum de contrôle du change.» Le secrétaire d'Etat au Budget explique la déroute des institutions financières de la Fédération de Russie par «son renoncement brutal à toute forme de contrôle du change». Malgré les interventions des experts, et la technicité dont se prévalent les rédacteurs du nouveau texte, la charge politique demeure trop forte dans les appréciations des uns et des autres quant à l'ordre de priorité des actions à entreprendre dans la mise en oeuvre des réformes politiques sous la houlette de M.Boukrouh.