Abdelatif Benachenhou veut mettre de l'ordre dans la gestion des finances publiques qui, pour des raisons historiques, s'est franchement écartée de l'orthodoxie qui doit constamment prévaloir aussi bien dans la conception que dans l'emploi des ressources budgétaires de l'Etat. C'est un souci qu'a franchement exprimé notre argentier à la tribune du Club Excellence Management dont il était l'invité dimanche dernier. La tâche n'est pas facile mais il prend l'engagement d'y aller progressivement en faisant prendre conscience aux opérateurs économiques de la nécessité de dépenser mieux, de commencer d'ores et déjà à préparer l'avenir et, chaque fois que la situation l'exige, d'encourager l'investissement. S'agissant de la mise en ordre dans les dépenses publiques, le ministre des Finances a déjà donné le ton en mettant fin au dérapage du budget de fonctionnement qui, pour la première fois depuis l'indépendance, ne connaîtra pas d'accroissement. La loi de finances pour 2005 fige en effet les dépenses de fonctionnement pratiquement au même niveau que celui de 2004, ce qui constitue une innovation quand on sait que ces dernières ont évolué beaucoup plus vite que la croissance au cours des années précédentes. L'année 2005 sera considérée comme une année de pause qui servira au moins à évaluer les besoins incompressibles du pays en matière de dépenses de fonctionnement. NOUVELLES MESURES La préparation de l'avenir consistera, selon les propos de M. Benachenhou, à mettre en œuvre un certain nombre de mesures consistant notamment à investir en recourant aux banques dont c'est la vocation première, plutôt qu'au Trésor public comme on a trop tendance à le faire aujourd'hui. Le Trésor public ne devrait être sollicité que pour soutenir l'investissement dans des secteurs qui en ont grandement besoin, comme c'est le cas pour l'agriculture et la petite et moyenne entreprises. Préparer l'avenir, c'est également payer ses dettes, affirme notre ministre qui saisit l'opportunité de l'embellie financière que connaît le pays pour régler, ne serait-ce qu'en partie, la dette publique qui gonfle démesurément en raison des agios qui l'augmentent chaque année davantage. L'Etat doit également éponger les déficits des entreprises publiques, puisqu'il a pris la responsabilité de les maintenir en activité en dépit de leur déstructuration financière. Echaudé par l'affaire El Khalifa, il exhorte les entreprises publiques à déposer leurs avoirs dans de bonnes banques, sans toutefois prendre le soin de définir ce qu'est une bonne banque. Sous-entendait-il qu'une bonne banque est nécessairement une banque publique ? Quel est dans ce cas le sort des quelques banques privées qui activent dans notre pays ? Veut-on signer leur arrêt de mort en dissuadant les opérateurs publics, comme c'est actuellement le cas, à y déposer leurs avoirs ? La récente circulaire du chef du gouvernement confortée par les propos de notre ministre laissent en tout cas planer de sérieux doutes sur l'avenir de la concurrence interbancaire dans notre pays, et cela n'est pas fait pour rassurer les investisseurs, notamment étrangers. Préparer l'avenir, c'est aussi et surtout saisir l'opportunité des larges disponibilités financières disponibles aussi bien au Trésor que dans les banques, pour la plupart en situation de surliquidité, pour promouvoir l'investissement. La CNEP à elle seule disposerait d'environ 450 milliards de dinars (6 milliards de dollars) d'encaisses oisives qui pourraient être investies dans le logement. Il faut toutefois se garder, ajoute-t-il à juste titre, d'engloutir les capitaux disponibles dans des filières économiquement condamnées, comme par exemple le textile ou certaines entreprises publiques incapables de résister à la concurrence privée étrangère. La relance de l'investissement doit aller de pair avec une politique de change mieux adaptée et plus dynamique à même de fluidifier l'importation de services aujourd'hui soumise à des procédures tatillonnes car très mal définies. L'embellie financière durable dans laquelle s'est installé le pays permet d'améliorer considérablement les mécanismes de change, et M. Benachenhou annonce que la Banque d'Algérie travaille sérieusement à l'instauration prochaine d'un marché de change à terme ainsi que l'ouverture de bureaux de change privés. Il est bon de rappeler que la réglementation régissant ces deux activités existe et qu'il ne s'agit en fait que de réunir les conditions de leur mise en œuvre. AMÉLIORATION DES MÉCANMISMES A la faveur du débat qui a suivi sa conférence, M. Benachenhou a répondu à de nombreuses et importantes questions se rapportant à la réforme bancaire qui tarde et qui se traduit par des rendements exagérément bas. Les 237 milliards de dinars que l'Etat a investis dans les banques publiques n'ont rapporté en 2004 que la somme ridicule de 3 milliards de dividendes, a-t-il affirmé en insistant sur l'urgence d'associer au capital de ces banques des actionnaires privés. C'est, dit-il, le seul moyen de pousser ces entités à travailler comme d'authentiques banques mues par le souci de commercialité et d'obligation de résultats. Il a également évoqué la question des transferts sociaux qui engloutissent chaque année pas moins de 10 milliards de dollars, soit un cinquième du produit national. Cette prise en charge rentière en bonne partie héritée du système socialiste met en péril le fragile équilibre des finances publiques. C'est pourquoi il préconise de commencer d'ores et déjà à réduire ces transferts en supprimant notamment les exonérations d'impôts, en faisant payer le juste prix de certains produits actuellement sous-payés comme l'eau et les carburants et en ciblant avec beaucoup plus de rigueur les catégories sociales devant réellement bénéficier des soutiens multiformes de l'Etat. On retiendra également qu'au sujet de la faillite de la banque El Khalifa, le ministre des Finances a été on ne peut plus clair, en précisant que hormis les petits porteurs qui sont protégés par la loi sur la monnaie et le crédit, les gros déposants n'ont absolument rien à attendre de l'Etat. Les opérateurs ayant pris le risque de déposer leurs avoirs dans cette banque en raison de l'importance des intérêts qu'elle supposait offrir sont comptables de leurs décisions, et qu'à ce titre ils doivent en assumer les conséquences. Des propos qui n'ont évidemment pas convaincu les opérateurs privés concernés qui considèrent n'avoir choisi cette banque que parce que les organes chargés de sa surveillance (Banque d'Algérie, commi- ssion bancaire, etc.) ne leur ont rien signalé d'anormal de nature à les en dissuader. Le ministre des Finances a enfin abordé la grave question des assainissements financiers des entreprises publiques qui ont coûté à l'Algérie pas moins de 28 milliards de dollars de 1986 à ce jour, l'essentiel de capitaux ayant été englouti par les banques. Le gouvernement, dit-il, a décidé cette année de mettre les députés, qui doivent décider du projet de loi de finances pour 2005, face à leurs responsabilités. Ils devront directement se prononcer sur l'effacement par l'Etat des déficits que nombreuses d'entre elles ont encore accumulés. Environ 35 milliards de dinars sont prévus dans le projet de loi de finances en faveur de ces entreprises dont le déficit chronique résulte d'une fatalité structurelle (insuffisance d'activité, faible performance, management archaïque, etc.). Les assainir à nouveau reviendrait à gaspiller délibérément l'argent du contribuable. Mais pour la première fois dans l'histoire du pays, c'est aux députés de le décider et non pas à l'Exécutif sous la pression de ces derniers.