Une vie intensément consacrée au combat contre le colonialisme français. C'est le 6 août 1946 que Ali Laïmèche, un berbéro-nationaliste, est décédé à l'âge de 21 ans. Malgré sa jeunesse, son nom a traversé le temps grâce à la mémoire collective kabyle alors que, durant toute la période du parti unique (1962-1969), il était occulté. Cela est d'autant plus impressionnant que cette volonté de l'anéantir était le fait, en Kabylie, des relais du régime islamo-baâthiste qui faisait l'impasse sur tout ce qui était berbère en général et kabyle en particulier. Malgré une vie consumée telle une bougie allumée au vent violent du nationalisme algérien de l'époque, une vie intensément consacrée au combat contre le colonialisme français, le fait qu'il militait dans sa langue maternelle, langue dans laquelle il créait et traduisait des chants pourtant nationalistes, l'avait condamné à l'ingratitude et au mépris de l'Algérie indépendante. A ce jour, il ne fait partie que de la mémoire collective de la région. L'Algérie est un miroir brisé dont chaque morceau reflète une identité régionale isolée. Auteur présumé de Kker a mmi-s u mazigh, Ghuri yiwen umeddakel ou newwi-d tafat s wudem... Ali Laïmèche était aussi un organisateur né. Ayant vu le jour en 1925 à Icherâiwen, village natal du célèbre poète Si Mohand u Mhand, dans la commune de Tizi Rached, il avait fréquenté l'école primaire locale durant quatre ans puis le collège à Tizi Ouzou où il était immédiatement immergé dans le bouillon de culture nationaliste qu'était toute cette ville et commença le combat contre le colonialisme français. Il fut d'ailleurs arrêté quelques mois plus tard en possession d'un tract du PPA (Parti du peuple algérien), probablement rédigé par Amar Imache. Voulant devenir enseignant, son admission au lycée l'avait encouragé à continuer ses études secondaires. C'est ainsi qu'il fréquenta le lycée de Ben Aknoun, actuel lycée El Mokrani, où il élargit son champ de vision et se distingua par ses qualités d'organisateur et de meneur d'hommes au profit de la cause nationale à travers notamment son implication dans le scoutisme. En novembre 1942, les Américains débarquèrent à Alger et le lycée qu'il fréquentait était réquisitionné pour les troupes alliées de la Seconde Guerre mondiale. Laïmèche était transféré à l'Ecole normale de jeunes filles de Miliana. C'était là qu'il s'était entièrement engagé dans le scoutisme : sensibilisation, recrutement, organisation, animation et... création et traduction de chants révolutionnaires en kabyle, dont ceux évoqués plus haut. En 1944, il avait repris ses études à Ben Aknoun et fut admis en fin d'année scolaire, à la première partie du baccalauréat avec mention bien. Il ne passera jamais la deuxième partie dudit diplôme pour cause des massacres du 8 mai 1945 à la suite desquels il décida de prendre le maquis en compagnie d'une poignée de ses camarades de lycée. Il venait d'entamer la période la plus intense de sa vie qui allait lui être fatale. Leader charismatique hors normes malgré son jeune âge, courageux et lucide, il était chargé par le parti du recrutement et de la formation politique et paramilitaire de centaines de jeunes en Kabylie. Il fut terrassé par une fulgurante tuberculose et rendit l'âme près d'Aït Zellal, localité entre Souamaâ et Djemaâ Saharidj. C'était le premier enterrement nationaliste qui avait déplacé, selon une source écrite, une foule de près de deux cent mille personnes. C'est en 1981 que j'ai été invité par des amis de Tizi Rached à commémorer la date de sa mort dans la localité. Un concert public était prévu vers 20 heures et le maire aurait donné son aval. Arrivé avec ma guitare sur l'épaule à l'heure prévue, qu'elle ne fut ma surprise de trouver la ville plongée dans l'obscurité. Le FLN avait tout simplement coupé l'électricité pour ne pas disposer de la sonorisation. Le public m'attendait. Mais devant l'interdiction qui m'était verbalement signifiée par ceux-là mêmes qui m'avaient invités, j'avais demandé à mon jeune public de me suivre en contrebas de la ville, et c'était au clair de lune et entre les oliviers que j'eus sans le savoir, l'insigne honneur et le privilège d'entamer ce qui est devenu une tradition de la commémoration d'un symbole du combat pour l'Algérie, l'amazighité et la Kabylie. Lorsqu'en 1991 de nombreux notables corrompus et alliés du régime étaient conviés à lui rendre un hommage officiel, une indicible colère m'envahit. J'avais l'impression qu'on était en train de nous déposséder du combat de ce géant, de le récupérer au profit du régime et des hommes qui, des décennies durant, veillaient scrupuleusement à ce que le silence se fasse sur sa tombe. Il est fort probable que l'année prochaine, qui coïncidera avec le soixantième anniversaire du martyre Laïmèche Ali, nous voyions de nouveau les dignitaires et autres relais du pouvoir venir en masse pour tenter de récupérer la mémoire d'un homme qui, rien que par les chants qu'il a laissés, les combat depuis sa tombe.