Touché par des attentats sans précédent il y a trois jours, le Burkina Faso, maillon faible des pays du Sahel sur le plan sécuritaire, paie son engagement contre les groupes jihadistes et subit la géopolitique régionale, estiment des experts. «Au Burkina c'est la première attaque avec de telles proportions, et on assiste à un changement clair de cible: on ne tape plus des civils mais des militaires», relève Nicolas Desgrais, de l'université du Kent au Royaume-Uni, spécialisé dans la coopération militaire au Sahel. «Véhicule rempli d'explosifs (qui a explosé à l'état-major), tirs de (roquettes) RPG, fusils d'assaut kalachnikovs... cela demande une sacrée préparation opérationnelle». «Cette opération a une dimension exceptionnelle», confirme Rinaldo Depagne responsable pour l'Afrique de l'Ouest du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG). Les jihadistes ont fait «s'effondrer le coeur du système militaire» du Burkina Faso, un des cinq pays (avec le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie) de l'alliance du G5 Sahel formée depuis 2017 contre les groupes jihadistes qui sévissent dans la région. Ce changement d'échelle s'explique par «l'escalade générale de la violence au Sahel, depuis que la France et le Mali ont décidé de mettre une pression exceptionnelle sur les groupes armés maliens qui ont formé le Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans (GSIM)», explique-t-il. Le Gsim, né de la fusion des groupes Ansar Dine du jihadiste malien Iyad Ag Ghaly, Al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar et L'Emirat du Sahara, une branche d'Al Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi) a dit avoir agi «en réponse» à la dernière opération française près de la frontière algérienne où une vingtaine de jihadistes présumés avaient été «tués ou capturés». «La France veut réduire le potentiel militaire de ces groupes, éliminer leurs chefs, nettoyer le terrain avant les élections prévues en juillet au Mali», poursuit M. Depagne. Le nord du Mali, désertique, échappe presque totalement au contrôle des autorités de Bamako. Si les jihadistes ont frappé au Burkina, c'est parce qu'il est le «ventre mou» du Sahel en terme de sécurité, estime Paul Koalaga, professeur de géopolitique et consultant en sécurité. «Le Burkina a engagé le combat avec les terroristes depuis 2015, engagement qui s'est renforcé avec le G5 Sahel, il fallait s'attendre à une riposte, à payer le coût de cet engagement». Malgré les précédentes attaques à Ouagadougou, malgré les accrochages réguliers depuis trois ans dans le nord du Burkina entre jihadistes et militaires, «les autorités burkinabè n'ont pas encore pris la mesure de la menace», selon lui. «Elle essayent de détourner l'attention de leur incapacité en accusant des responsables de l'ancien régime» de Blaise Compaoré, tombé en 2014. «Il y a des cellules (jihadistes) dormantes dans les capitales africaines, la radicalisation prend racine chez les jeunes, notamment dans les quartiers périphériques de Ouagadougou, quartiers défavorisés, précaires, massivement touchés par le chômage», dit-il. Selon les autorités, la quasi totalité des assaillants de Ouagadougou vendredi étaient Burkinabè. «Le système sécuritaire du Burkina s'est effondré depuis la chute de Blaise Compaoré», juge M. Koalaga. «Notamment les services de renseignement», précise Rinaldo Depagne. «Au Burkina, le renseignement ne reposait pas sur une institution, mais sur les épaules d'un homme, le général Gilbert Diendéré, un maître-espion». Le général Diendéré, ancien bras droit de l'ex-président Compaoré, est emprisonné depuis sa tentative de putsch en 2015 et actuellement jugé. Qu'il y ait eu des complicités au sein de l'armée pour les attaques de vendredi, comme l'évoquent les autorités burkinabè, est tout à fait possible, selon M. Depagne. «On sait que parmi les 566 militaires exclus de l'armée après les émeutes de 2011, certains se sont enrôlés dans des groupes jihadistes. Et la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle (l'unité d'élite de l'armée dissoute après le putsch raté de 2015) a créé beaucoup de frustration chez ses anciens soldats». A terme, il faudra sans doute négocier avec les groupes jihadistes, sinon on aura une «guerre interminable, comme en Somalie où elle dure depuis 27 ans», estime M. Depagne.