Une des oeuvres marquantes de cette exposition organisée par ONU Femmes et placée sous le thème de «l'égalité» est incontestablement l'installation de Mouna Bennamani qui, réalisée à l'aide de papier, se veut provocatrice certes, par sa taille, mais ô combien révélatrice d'une réalité socioculturelle bien ancrée dans la mémoire de notre société, à savoir la sacralité de la virginité féminine. Cette oeuvre géante est placée en effet comme un gros coup de gueule de la part de l'artiste, pour souligner la dimension gravissime de ce phénomène qui entoure ce tabou en Algérie. Lui redonnant forme, l'artiste plasticienne qui n'est plus à sa première oeuvre dédiée à la cause «féminine» ou féministe, nous explique le pourquoi et le comment de son travail. Nous lui avons donc posé trois questions. Réponses ci-dessus. L'Expression: Un mot sur le rapport entre votre oeuvre et la thématique de la légalité? Mouna Bennamani: Mon sujet évoque justement une forme d'inégalité qui prévaut dans notre société que je voulais mettre en lumière à travers cette installation. Epicharme affirme: C'est la pureté de l'âme qui fait la pureté du corps. Chez nous c'est plutôt «c'est la pureté du corps qui fait la pureté de l'âme...» Dans une réalité où le symbole est au-dessus des valeurs intrinsèques, la pureté féminine se veut sacrée, divine, nécessaire et non négociable, révélatrice de valeurs, principes et de «hourma!». Cette sacralisation de la chasteté féminine, mise en scène par le rituel sacré du drap blanc, cette installation se veut métaphore plastique de cette fameuse coutume ancestrale, dont la pratique se veut moins répandue de nos jours, mais dont la symbolique est toujours aussi forte, ancrée. Parlez-nous de votre démarche artistique justement... Il fallait que cette oeuvre soit grande! Qu'elle dépasse l'échelle humaine, qu'elle dépasse l'humain et les valeurs qu'il peut porter, qui constituent sa personnalité en quelque sorte. Qu'elle remplisse l'espace ne laissant place à aucune autre caractéristique féminine. Elevée au rang de divinité, rien n'est plus important que la virginité féminine, cette pureté de l'âme traduite par une pureté du corps! J'ai abordé ce sujet, parce qu'il me paraît être la plus grande inégalité dans notre société. Chasteté sélective; ce qui est imposé aux femmes n'est nullement de même pour les hommes. Toujours à la quête d'une preuve, l'attente de cette tache rouge sur ce blanc immaculé, l'intime dévoilé au grand public! Complexité d'une société où la pudeur et l'impudeur «flirtent» de manière continue. Pourquoi le papier? Ma rencontre avec le papier remonte à l'enfance j'imagine, mais la révélation que j'ai eue dans un cadre artistique s'est faite au japon, je suis simplement rentrée dans une papeterie, où j'y ai trouvé des étalages de différents papiers, des tonnes! J'étais simplement émerveillée! l'odeur du papier, les différents touchers, j'y ai passé des heures discutant avec cette personne qui a toujours tenu cette boutique, il me parlait de son métier auquel il avait consacré sa vie, l'art des origamis, j'avais tout simplement redécouvert ce papier, matière qui fait appel à tous les sens. Un vrai dialogue s'est installé entre nous. Ça s'est construit intuitivement. Le papier est un matériau riche qui répond au geste assez facilement, on le touche, il vibre, se plie se froisse, très sensible matière qui nous permet de s'y refléter en tant qu'humains, si on lui propose quelque chose, un pli, un froissement, elle va y répondre et garder l'empreinte, un peu comme la terre aussi, une sorte de côté spongieux, absorbant de la matière, on y laisse une part de nous-même à chaque fois. Et puis au-delà de tout cet aspect de fragilité qui, finalement, n'en est pas un, je parlerai plutôt de sensibilité, il y a ce rapport à la construction, déconstruction et reconstruction de la matière notamment avec le mouvement concret du geste qui se fait totalement naturellement Ce qui est très intéressant avec le papier: c'est un matériau plane, fin, souple qui n'a pas de volume initialement, mais qui va pouvoir en avoir si on joue avec de la bonne manière, à travers le pliage, froissement, collage. Cette matière permet autant le plein que le vide qui va permettre un volume immense alors que la feuille elle-même n'en a pas, et ce volume existe par le vide qu'il contient. J'aime le côté éphémère que peut avoir ce matériau, la vie qu'une oeuvre de papier peut avoir, avec un début et une fin, une matière qui fait écho à l'humain, c'est sans doute ce qui me plaît le plus.