Une rencontre avec un artiste émérite, qui, malgré le succès, n' a pas perdu de sa modestie d'artiste au grand coeur. Connu sous le nom artistique de Takfarinas, de son vrai nom Ahcène Zéramani, l'artiste a commencé à puiser ses sources musicales dans son village Tixeraïne où il est né et où il a grandi. A peine a-t-il atteint l'âge de 16 ans qu'il s'illustre par son talent, en remportant le concours radiophonique organisé pour les jeunes talentueux. Puis il commence à s'intéresser aux artistes du monde de la chanson citadine, tels le maître du chaâbi algérois El Hadj M'hamed El Anka, et autres Cheikh El Hasnaoui. Ses clips télévisés et sa musique universelle font de Tak une star. En 1994, il occupe la 4ème place dans le Hit Power des World musique Europe. Alors que d'autres styles musicaux déferlent sur la scène artistique nationale, Tak «bouscule» les oreilles des Algériens avec de nouvelles sonorités. C'est le Yal. Et ce à l'occasion de la sortie de la chanson phénoménale Zaâma Zaâma. «Ma musique c'est comme un bouquet de fleurs, qui contient toutes les roses et chacune a sa couleur et son parfum» déclare-t-il. Dans ses chansons, l'artiste chante l'amour, l'Algérie, la jeunesse, les problèmes sociaux et surtout... Tamazight. En effet, la coqueluche de la chanson Kabyle nous parle dans cet entretien de ses premiers pas dans la musique, sur le Yaal ainsi que sur ses derniers albums et le dernier clip. L'Expression: Un bon nombre de vos fans préfèrent vous appeler «Tak», peut-on savoir le secret de cette appellation? Takfarinas: Le mot de Takfarinas veut dire en Tamazight «Thikfarthe Ines», qui veut dire en langue française «sa fierté». L'appellation a été déformée par la suite, car les romains l'ont mal prononcée, la transformant en Takfarinas. J'ai choisi ce nom pour ma carrière artistique. Une option qui remonte aux premières années de ma carrière. Cela fait plus de trente ans que vous êtes dans l'univers de la musique, avez-vous l'impression d'avoir atteint l'universalité? Avant que je ne devienne artiste, il faut que vous le sachiez , j'ai exercé le métier de mécanicien. Au début, je jouais à la guitare, c'était juste pour le plaisir. Je n'ai jamais pensé embrasser une carrière artistique et devenir un artiste professionnel. Et cela vu ma situation familiale qui ne me permettait pas de m'engager complètement dans la musique. Mon père, après avoir participé à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre de Libération nationale, était fatigué, alors il ne pouvait pas satisfaire les besoins de la famille. Cela m'a poussé à travailler afin d'améliorer notre quotidien. Quant à ma relation avec la musique, je vous le dis tout simplement, je suis né et j'ai grandi dans un milieu musical. J'ai trouvé des instruments de musique traditionnels chez nous à la maison, car ma mère et mon père et aussi mon frère chantaient. Donc je suis né dans la musique. Je n'ai appris ni notes ni accords dans les écoles. La musique pour moi c'est quelque chose de naturel, voilà! Aujourd'hui, votre carrière a pris une bonne tournure aussi bien en Algérie qu'à l'étranger. Votre style le «yal» est devenu international. Pouvez-vous nous en parler? C'est difficile de me juger. Quant au style, je vous dis tout simplement que je l'ai inventé. Et puis le «yaal» est le nom générique de la musique Kabyle. Car quand on dit la musique kabyle, c'est comme on dit le breton, c'est trop petit. Par contre, le Yal c'est plus grand. C'est général. Car cette musique a un nom, le Yal. C'est comparable à d'autres concepts comme le reggae, le haouzi, le raï, le malouf ou le chaabi. Autrement dit, le Yal par rapport à la musique kabyle, c'est comme un bouquet de fleurs qui contient toutes les roses, chacune a sa couleur et son parfum. Vos derniers albums ont suscité diverses réactions. Comment évaluez-vous votre dernier produit? La musique que j'ai faite dans les derniers albums, ne peut être comprise tout de suite. Il faut du temps pour la comprendre. Car c'est un travail que j'ai fait après quatre ans de recherche et en une année d'enregistrement. D'ailleurs, la musique de Beethoven a été comprise après sa mort. Donc cela serait un peu difficile de la comprendre tout de suite. Ce n'est pas un livre dont on comprend le contexte au moment de la lecture. Mais je suis sûr qu'un jour viendra on la comprendra. Quant à l'évaluation personnelle de mon travail, je dis qu'on peut pas faire un constat, par exactitude, sur un produit s'il a bien marché ou pas, du moment que la musique, à travers le monde, souffre du phénomène du piratage. D'ailleurs, mes quatre albums ont été vendus en un seul CD. Le public préfère acheter un seul CD qui contient les 4 albums à 100 DA, que dépenser 600 DA. Alors comment peut-on faire un constat dans une situation pareille. A l'occasion, je lance un appel à l'Onda pour trouver des solutions et faire barrière à ce fléau qui menace de tuer la création. Et cela ne veut pas dire que ses responsables ne font pas leur travail, mais ils sont peut-être dépassés. S'agissant toujours des derniers albums, vous avez fait un mariage de plusieurs langues et styles. Avez-vous l'intention de faire passer un message au public? Vous savez, quand la musique est bien faite elle devient comme une langue que tout le monde parle. C'est la langue, si j'ose dire, de l'univers. A travers la musique, nous sommes tous «un». Avec une musique bien raffinée, on arrive à rapprocher des peuples de différentes langues, cultures et races. La bonne musique ne se calcule pas. Elle va droit au coeur, sans chercher à comprendre les paroles de son auteur. Pour le simple exemple, les musiciens avec lesquels j'ai travaillé, ne m'ont pas donné leur OK dès le départ, et n'ont accepté de travailler avec moi qu'après avoir écouté ma musique. C'est grâce au langage musical qu'on s'est rapprochés. Cela veut dire que tout le monde «parle» la musique. Bref ! La musique pour moi c'est comme l'amour, on n'a pas à réfléchir. On parle aujourd'hui de votre fameux clip. Un retard a été accusé en ce qui concerne la production, êtes-vous de cet avis, et le clip s'avère être une véritable surprise non? Parfois il faut bien sortir l'album pour marquer l'événement d'abord et lancer ensuite un clip pour renouveler l'événement. J'ai préféré faire l' album et le renouveler par un clip. Et à l'occasion, j'enregistrerai un autre clip au mois d'octobre prochain au Sahara, pour la chanson Azul. Pour revenir au clip, j'ai fait un choix personnel s'agissant des danseurs et des danseuses. Mais après, j'ai invité quand même le groupe des Wanted, qui a gagné le trophée mondial de danseurs du hip hop. Vous avez promis au public algérien un retour fracassant cet été après 15 ans d'absence. Où en êtes-vous à propos de ce projet? Oui c'est vrai que j'ai dit cela. Parce que au début j'ai remis tout un formidable dossier à la ministre de la Culture, qui était contente de mon projet. Mais il reste un problème de finances. Qui va financer la tournée ? Car seul, je ne peux pas organiser une tournée pareille en deux mois. D'autant plus qu'il y aura 300 personnes avec moi sur la route (musiciens, danseurs, chauffeurs, techniciens...), dont 45 musiciens. Ainsi, le report est dû au problème de financement. Mais maintenant, j'espère que c'est réglé, ça sera pour le moins d'août 2006. Et, effectivement, après 15 ans de séparation, car mon dernier concert remonte à 1999 à Tizi Ouzou, j'ai envie de revenir et de retrouver mon public. Je reste toujours ce que je suis. Déjà en 1985, je roulais avec plus de 85 personnes, et je ne chantais que dans les grands stades. Et ça sera la même chose et même plus, l'été prochain. Pour le programme de cette tournée, je ferai les grands stades d'Algérie Tizi Ouzou, Béjaïa, Annaba, Oran, Bouira et d'autres wilayas. A cette occasion, je sortirai un double album live. Quel constat faites-vous, aujourd'hui, concernant votre style le «yal»? Je vous dis tout simplement que le Yal a atteint l'universalité. Il est au sommet. Et ce, malgré les maigres moyens dont disposent nos chanteurs, qui se débrouillent pour financer leur travail. Je ne parle pas de moi, car j'ai ma maison de disque, mais des autres qui souffrent pour financer leurs produits. Et malgré cela, on arrive à présenter une production qui est actuellement au sommet. On a appris que vous avez fait un remix pour la chanson «Torréro». pouvez-vous nous en parler? Bon c'est un album en 7 versions, de la chanson Torréro. Le premier est un remix House. Le second est un remix techno pour longue durée. Après, un remix House et un remix techno pour une durée radio. En 3 minutes. C'est déjà 4 versions. Puis il y va avoir 2 versions albums. J'ai travaillé plus avec la voix qu'avec la musique. Enfin, la 7eme version de près de 11 minutes de house et techno, pour faire danser le public, sera sur le marché aujourd'hui ou au plus tard le samedi. On vous laisse le soin de conclure. Avant tout je souhaite le rétablissement à notre cher pays. Et qu'il retrouve sa santé et sa stabilité d'antan. Je pense que pour y arriver il faut surtout revenir à l'origine et à l'histoire du pays. Car celui qui ne sait pas d'où il vient, c'est dans l'obscurité qu'il vit. Un peuple qui ignore son histoire, l'histoire l'oubliera. Et cela m'amène à parler de ma langue, tamazight, qui est celle de tous les Algériens. Après des siècles, je pense que le moment est venu pour l'officialiser. On peut pardonner et oublier tout, sauf Tamazight. Je dis que Tamazight représente à la fois la langue et l'histoire du pays.