Malakoff, Tantonville, Milk Bar, Bouchachoua, El Bahdja... sont autant de lieux qui regorgent d'histoires et d'anecdotes sur la vie algéroise. Les Algérois à la reconquête de leurs... cafés! Les «K'hawi» historiques de la capitale sont redevenus «IN» chez les jeunes et les moins jeunes. En effet, après des décennies où ils se sont fait avaler par les salons de thé dits chics, voilà que la mode est aux vieux cafés qui portent la mémoire de la capitale. Et pour cause, au coeur d'El Bahdja, ces cafés disent autant de l'histoire de la ville qu'une visite dans un musée. Connaître la vie des Algérois d'hier et d'aujourd'hui passe par la découverte des plus célèbres. Siroter un café devient ainsi plus qu'un moment de détente, mais une leçon d'histoire. C'est le cas avec l'un des plus célèbres de ces cafés, à savoir le «Milk Bar». C'est dans ce bistrot que commence la bataille d'Alger avec l'attentat à la bombe perpétré le 30 septembre 1956 par Zohra Drif-Bitat. Relooké de fond en comble par un designer, le Milk Bar a réouvert ses portes en 2015 pour devenir l'un des endroits incontournables d'Alger. Des témoins de l'histoire... On y boit tranquillement un café face à la statue de l'émir Abdelkader. Ce café qui ouvre 7 jours sur 7, 24h sur 24 est très fréquenté par les Algérois, mais aussi par les étrangers, tout au long de l'année, et plus particulièrement en été, pour son espace ouvert sur le boulevard Larbi Ben M'hidi. Pour Fatiha, militante dans une association, prendre un thé ou un café dans cette cafétéria en compagnie de ses hôtes venus d'autres wilayas ou de l'étranger est synonyme de moment hautement symbolique puisque, forcément, suivi d'une séance photo sous l'enseigne de ce café «historique». Au square Port-Saïd, un autre café est une «halte», obligée pour tout visiteur qui viendrait se perdre dans les rues de la Blanche pour découvrir Alger et ses habitants. «La relation de l'Algérois avec les cafés est séculaire. La casbah d'Alger était une ville vivante qui respirait par des espaces à caractère social, notamment à travers deux édifices: la mosquée et le café», a souligné le chercheur en patrimoine algérois, Mehdi Berrached qui estime que le concept de café a changé avec le temps surtout durant les années 70 avec l'apparition des salons de thé. Il a ajouté que les cafés, jadis lieux de rencontres, abritaient, également, des fêtes à l'image des cafés «Bouchachoua», «Jijelien», «Café sportif», et «Malakoff» où Hadj Nadhor et Hadj M'hamed el Anka avaient animé une «qaâda» en 1923. De son côté, Fayçal Cherif, chercheur en histoire de l'art algérois, a qualifié ces cafétérias d' «espaces sociaux de rencontres et d'échanges qui étaient masculins par excellence, et qui s'étaient associés à une personnalité hors pair, une famille ou un récit historique». En fait, chacun d'eux détient un se cret, une anecdote ou une fréquentation particulière. Ce sont des livres d'histoire ouverts. C'est au fond de ces vieux cafés algérois au fond que se sont échafaudés moult événements militants, sportifs, de farniente, de joie et d ́espoir. Qui se souvient de Kahouet L ́fnardjia (café des F ́nardjia) ce fameux café des allumeurs de gaz (f ́nardjia) des réverbères et qui se chargeaient également de les éteindre. Ce café est situé au niveau de la Basse Casbah dans la rue du chahid Rabah-Riah, (ex-rue Porte-Neuve). La porte sud de la Casbah porte une transcription «Bab Djedid».C ́est un point de rencontre de ces travailleurs «lumineux» de l ́époque, qui, à l ́aube et au crépuscule de chaque journée, remplissaient leur mission d ́éclairer et d ́éteindre la vieille ville. Aujourd ́hui, hélas, cet établissement est devenu un «vulgaire» magasin aux hideuses portes blindées. Ammi Ahmed, un octogénaire au port altier, au demeurant bien au fait de la fréquentation de cet estaminet, car étant du quartier et ayant été un habitué du lieu durant sa jeunesse, a bien voulu nous raconter une page d ́histoire de ce café bien connu des vieux Algérois. Il précisera que des religieux militants étaient de la partie comme Cheikh Ben Badis ou son compagnon Tayeb El Okbi, tout en nous montrant une photo d ́un groupe d ́une trentaine de militants religieux de la première heure. Ainsi, il nous a confié que le célèbre roi de la «zorna», en l ́occurrence Boualem Titiche, accrochait là son tambourin, afin qu ́il soit visible par ceux qui venaient solliciter la participation de la «zorna» à un mariage ou à une circoncision, moyennant une somme, qualifiée de modique généralement. De même que de nombreux artistes, qui fréquentaient ce lieu, y étaient abordés pour les mêmes prestations. C'est ici que s'arrangeaient les mariages! Au fil du temps, toute cette foule pittoresque s ́est déplacée vers un autre lieu, le café Malakoff du même nom que les galeries commerciales qui l ́abritaient. C ́était désormais ce fameux café qui se prêtait à ces sollicitudes et arrangements entre artistes et hôtes. Pour la petite histoire, le duc français Malakoff ou le maréchal Pélissier, mort en mai 1864 à Alger, est tristement célèbre. En 1845, sous le couvert de Bugeaud, il avait enfumé et fait périr 500 insoumis de la tribu des Ouled Riah, réfugiés dans les grottes du Dahra. L ́ex-rue Porte-Neuve porte d ́ailleurs le nom d ́un combattant de la révolution issu de cette région, Rabah Riah. Là aussi, un enfant du quartier est venu nous raconter avec plaisir, fougue et passion, l ́épopée de ce sympathique café. Hacène, la cinquantaine bien entamée, au teint clair et cheveux châtains, nous rappela que le café se trouvait effectivement dans les galeries Malakoff dont les quatre lourdes portes en fer étaient fermées le soir venu. Nous pouvons aussi citer le café Tlemçani, tout proche de la Grande mosquée d ́Alger, dans le quartier de la Marine. Il fut longtemps géré par un certain Abdelkader Moussaoui, frère de Boualem, l ́un des premiers ambassadeurs d ́Algérie à l ́aube de l ́indépendance. La particularité de ce café était le lieu où s ́arrangeaient les mariages entre les familles algéroises, le tout dans le confort feutré de tapis et bercés par le va-et-vient incessant des théières parfumées à la menthe. Le Café des sports fait également partie de ces lieux mythiques. Il se situe à la rue Hadj Omar (ex-rue Bruce) non loin de la mosquée Ketchaoua. Bien que tombés en ruine, des portraits en mosaïque des trois principaux sports (football, boxe et cyclisme) figurent encore sur la façade qui a résisté au temps. Il ne faut pas oublier que le sport fut l ́un des creusets du nationalisme au même titre que le scoutisme ou la pratique de l ́art populaire. Le café situé tout près du saint patron d ́Alger, Sidi Abderrahmane, a été l ́un des derniers cafés qui préparaient le café, selon une méthode traditionnelle intemporelle. Faire chauffer du café directement sur le feu dans un petit «contenant» d ́une seule dose, muni d ́un long bras pour maintenir l ́ustensile sur la braise le temps nécessaire. Ce mode de préparation s ́appelle, selon les régions, «ghalaïa» ou «djezoua». Il se pratique à ce jour, dans quelques rares villages du pays. Les cafés qui contribuaient jadis à la vie artistique, culturelle et sociale des Algériens de nos jours ne sont rien d'autre que «des abris» auxquels les gens recourent pour prendre à la hâte une tasse de café. Heureusement que certains d'entre eux résistent encore...