Sachant que le juge du jour était malmené par un asthme insupportable, nous avons cru à tort que l'audience allait être un bide! Erreur. La salle d'audience du tribunal était pleine à craquer ce matin du mercredi d'automne 2018, un automne toujours chaud et, pour Alger, plutôt humide et agaçant pour les malades qui font un effort pour ne pas être gênés dans leurs désirs de bien faire, surtout en matière de justice. Quoiqu'étouffé par l'air ambiant, le président, un asthmatique chronique notoire, garde toute sa vigueur pour la journée qui s'annonce rude et pleine. Le juge se voulait être en forme pour bien mener son audience à son terme. Avec une centaine de dossiers dont plus de la moitié, seront reportés à un date ultérieure, le magistrat fera tout pour réussir sa journée, l'unique de la semaine. Il commence alors par appeler à la barre les parties O.K. pour renvoyer leurs joutes pour des raisons qui leur sont propres. Les avocats aussi s'avancent, certains heureux de l'aubaine, car un autre procès les attend quelque part. Les détenus aussi, vont connaître un sort différent cette journée, du moment que leurs procès seront reportés. Ils seront réunis dans les geôles, bavardant avec les uns, s'amusant avec les autres, de quoi tuer le temps, un temps qui ne finit jamais de s'étirer pour des détenus, surtout ceux qui se savent condamnables! Le magistrat appela d'emblée une bande de bandits récidivistes, formée de six personnes dont deux jeunes désoeuvrés, poursuivis de constitution d'association de malfaiteurs, de vols, de menaces à l'aide d'armes blanches et de coups et blessures volontaires. Quatre conseils s'approchèrent et l'un d'eux demanda à intervenir. Le brouhaha qui montait dans l'assistance nous empêchera de vous informer exactement sur le dialogue qui s'ensuivit. Néanmoins, il est apparu que l'avocat a demandé un renvoi en vue de permettre au quatrième avocat fraîchement constitué de parcourir le dossier, afin d'avoir une idée précise des faits reprochés.. Le magistrat ne voit pas d'inconvénient, mais avertit qu'il n'y aura pas d'octroi de liberté provisoire. La deuxième affaire met aux prises un couple désagrégé venu ce jour pour se déchirer s'il le faut, pour avoir la garde des deux enfants en bas âge. Puis le juge décide de reporter les débats, le temps pour les parents de se calmer un tant soit peu. Le troisième dossier à étudier est relatif à la conduite en état d'ivresse, cette affaire ayant eu lieu après le renvoi de cinq dossiers pour des raisons diverses. On arrive à suivre des débats expéditifs qui verront des immigrés clandestins ayant grossi le délit par un autre plus grave: confection de faux billets par le fameux et diabolique procédé propre aux immigrés du Sud, de Bordj Badji Mokhtar. Ce fut au tour de trois familles qui s'accuseront d'être les responsables du mauvais comportement des voisins. Décidément! Les trois inculpés semblent avoir baissé les bras et se sont présentés à la barre sans conseils aptes à les tirer du bourbier dans lequel ils se sont jetés. Un à un, les Africains du Sahel étaient d'une docilité déconcertante qui fait d'eux des détenus sans histoire, prêts à tendre leur cou à la lame aiguisée de l'accusation ou plutôt multiples accusations: «Immigration clandestine, vols, coups et blessures réciproques et confection de faux billets, grave délit prévu et puni par le redoutable article 197 (loi 06-23 du 20 décembre 2006) qui prévoit une peine d'emprisonnement de la réclusion perpétuelle à perpétuité.» De quoi faire froid dans le dos. Les détenus se comportent plutôt bien. A toutes les questions du tribunal, il n'y a aucun os. Les détenus se sont empressés de reconnaître les faits en vue de voir le juge faire preuve de magnanimité en guise de «remerciements». Le procureur, s'apercevant que le juge du siège «tire son épingle du jeu», préfère ne pas trop prolonger le procès dont l'issue est connue d'avance, tant des signaux étaient visibles. Le parquetier effectue tout de même de lourdes demandes. Après quoi, le président décide de mettre le dossier en examen pour la semaine prochaine et l'audience prendra fin avec les voisins harassés d'avoir trop dit ou de ne pas avoir trop dit.