Costa Gavras aux côtés du commissaire du Sila et Ahmed Bedjaoui Invité spécial de la 23e édition du Salon international du livre d'Alger, Costa Gavras a reçu samedi soir, à l'opéra d'Alger la Médaille Athir du président de la République Abdelaziz Bouteflika. Avant-hier samedi, Costa Gavras est venu au courant de l'après-midi au Sila à la rencontre de son public à l'occasion de deux événements majeurs. Le premier est la célébration du cinquantenaire du tournage à Alger de son film Z (réalisé en 1969) qui lui a valu d'être récompensé de nombreux prix, notamment le Prix du jury au festival de Cannes, ainsi que le Prix d'interprétation masculine pour l'acteur français Jean-Louis Trintignant. Il a également obtenu deux Oscars: celui du Meilleur film étranger et celui du montage avec une nomination à l'Oscar du meilleur réalisateur, ainsi que quantités d'autres prix dans des festivals internationaux. La seconde raison de sa venue est la sortie de son livre qui retrace ses Mémoires et intitulé «Va où il est impossible d'aller». Un livre qui retrace non seulement des anecdotes de sa vie mais fait l'état des lieux de l'évolution du monde à travers l'histoire. «Une chronique d'un demi-siècle. C'est 50 ans de rencontres, de passion et de mariage car le couple s'est marié ici à Alger lors du tournage du film Z» soulignera Ahmed Bedjaoui, notre «homme cinéma» qui a eu l'insigne honneur d'interroger Costa Gavras en décortiquant sa vie et son oeuvre à travers les différents chapitres de son livre. Notons que Michelle Gavras la femme de l'ombre et productrice de nombreux films dont ceux de Costa Gavras (Mon colonel, Cartouches gauloises de Mehdi Charef, A mon âge je me cache encore pour fumer de Rayhana, Maintenant ils peuvent venir de Salem Brahimi, Capital...) était présente dans la salle. Costa Gavras, d'origine grecque, qui reconnaît l'Algérie comme son troisième pays après la France, dira d'emblée que sa «relation avec l'Algérie a commencé il y a 50 ans grâce à ce film Z qui a été entièrement tourné en Algérie grâce au soutien de Boumediene qui a accepté qu'il se fasse ici. Depuis, ma relation avec votre pays n'a jamais cessé. J'ai fait 18 films et je viens souvent présenter mes films ici, quand il y a des festivals qui m'invitent. C'est une relation continue. Il y a des relations de travail bien sûr, mais des relations sentimentales qui perdurent aussi. La France m'a accueilli, mais l'Algérie m'a permis de faire ce film qui a été un tournant professionnel essentiel qui m'a permis d'en faire d'autres après. A partir de ce moment j'ai réussi à faire tous les films que je voulais faire. Grâce au succès de Z j'ai trouvé une liberté formidable, j'ai pu faire des films dans les conditions que je voulais, que ce soit en France ou ailleurs. Car encore une fois j'ai eu cette liberté que m'a donnée Z. J'ai voulu adapter ce livre de cet homme qui était en exil et qui risquait la prison; comme les colonels avaient pris le pouvoir par la force, tout le monde a tenté de faire quelque chose et pour moi la seule chose que je pouvais faire c'était ce film, comme un cri... J'ai contacté l'écrivain George Semprun et on a fait le scénario» un film engagé pour lequel la plupart des acteurs ont accepté de jouer avec peu de sous, se rappelle-t-il. Un long métrage qui, rappelons-le, comporte également des acteurs algériens dont Sid Ahmed Agoumi. Parlant de son livre, Costa Gavras dira que c'est «le récit de l'arrivée d'un émigré en France qui a quitté son pays parce qu'il n'y avait aucune perspective d'avenir. C'était la crise sociale et économique. Les études en France étaient gratuites. Ce livre est le récit de cet accueil en France en 1955. Je raconte l'intégration et la vie de famille et comment j'ai pu faire les films que je voulais...». Abordant sa démarche cinématographique, Costa Gavras dira qu'il fait des films comme des spectacles, non pas comme des discours politiques arguant que depuis l'Antiquité, le théâtre fait des spectacles avec des problèmes de la société et «c'est ce que j'essaye de faire aussi suivant cette mouvance». Evoquant son film Capital où il dénonce la mainmise des systèmes de banques sur la vie des individus, lui qui n'a jamais oublié d'où il vient et la pauvreté de ses parents grecs, expliquera que son livre parle aussi, de comment est né tel ou tel film et sur quelle colère ou fureur est-il parti, regrettant ainsi l'hégémonie de l'argent qui ne fait qu'enrichir les riches et appauvrir encore les pauvres et notamment cette course des intérêts chez les hommes de pouvoir dans le monde au détriment de leurs peuples respectifs et de la démocratie. Directeur de la Cinémathèque française depuis de nombreuses années Costa Gavras parlera aussi de l'importance de la conservation du patrimoine cinématographique y compris des costumes et bien entendu des archives filmiques, il avouera ainsi détenir celles de Youssef Chahine. «C'est important que des films tels ceux de Serge Léone ou encore de Bergman doivent être vus sur grand écran et non pas sur petit écran».A la question de donner son avis sur l'état actuel de l'Algérie, Costa Gavras qui se dira «amical, lucide mais critique» indiquera qu'il «faudrait une nouvelle génération de dirigeants pour l'Algérie pour que ce pays entre dans une nouvelle ère différente qu'a vécue ma génération eu égard à la révolution du numérique dont ma génération ne peut pas s'habituer facilement. Ce sont des jeunes de 50 ans au moins qui savent manier ça qui doivent diriger le pays. Je ne parle pas de l'Algérie seulement, mais de la Grèce de la même manière. Il faut se mettre dans une nouvelle voie et trouver des solutions pour éviter les catastrophes. Car je ne pense pas que ceux de ma génération soient à la hauteur pour affronter ces problèmes.» M.Gavras n'omettra pas de saluer le gros travail accompli par le président de la République pour qui, il a fait savoir avoir «beaucoup d'amitié et de fidélité parce que je l'ai connu quand il était jeune ministre aux Affaires étrangères. Ça été formidable ce qu'il a fait et, par la suite aussi, il a fait quelque chose d'important pas seulement pour l'Algérie, mais aussi pour arrêter le fléau du terrorisme. Il a créé un barrage pour le terrorisme en Europe». D'ailleurs, l'Europe et ses problèmes, indiquera Costa Gavras, fera l'objet de son prochain long métrage. A la question d'une intervenante dans le public à propos du film de Rayhana, Michelle Gavras qui acceptera volontiers de parler de ce film dont la partie supposée être à Alger a été tournée en Grèce, dira être étonnée que le film soit sorti en France, en Tunisie dans d'autres pays, mais pas en Algérie et a voulu comprendre pourquoi. Madame Michèle Gavras nous confiera qu'elle fera appel directement au président de la République pour clarifier cette histoire. Le film de Rayhana, rappelons-le - est une adaptation d'une pièce de théâtre - est un cri de femmes pour la liberté dans un contexte particulier, celui miné par le poids du regard islamiste.