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Une croustillante histoire
LE CHEVAL DANS LA DIPLOMATIE
Publié dans L'Expression le 15 - 11 - 2018

Si le fait d'offrir un cheval a été souvent un moyen diplomatique assez efficace, une bonne façon de se concilier les bonnes grâces d'un concurrent, ou de se réconcilier avec un adversaire, il est arrivé au moins une fois que cela déclenche au contraire une véritable crise politique.
Lorsque le président Mao Tsé-toung, soucieux de réchauffer les relations - jusqu'ici glaciales - entre son pays, la Chine, et les Etats-Unis, offrit au président américain Richard Nixon, venu lui rendre visite (c'était en 1972), un couple de ces gros oursons qui ressemblent à des peluches portant des lunettes de soleil, on se mit à parler d'une «diplomatie du panda».
Deux siècles auparavant, se pratiquait en Chine une autre façon de témoigner sa bonne volonté et son désir de nouer de bonnes relations: en offrant non pas des nounours, mais des chevaux. Le musée Guimet, à Paris, possède un splendide rouleau panoramique dû à un peintre de cour montrant ainsi l'empereur Quianlong, sous le règne duquel la Chine connut son apogée (c'était au XVIIIe siècle), recevant trois magnifiques chevaux des mains d'ambassadeurs kirghizes ou kazakhs venus faire allégeance. Ainsi, lorsque le président Macron, croyant sans doute bien faire, offrit récemment (en janvier de cette année) au président Xi Jinping un cheval, certaines mauvaises langues - dont la mienne - se demandèrent si le président français avait ainsi voulu marquer son allégeance au président chinois. Sans doute pas, mais à cette ambiguïté s'ajouta dans cette affaire une maladresse: le cheval offert, prélevé sur les effectifs de la Garde républicaine (qui est d'environ quatre cents chevaux) en effet, était un hongre! Or, entre souverains et hommes de cheval, on le sait bien, on ne s'offre que des chevaux entiers. Donner un cheval qui ne peut pas reproduire, équivaut à refiler une pendule qui ne marque pas l'heure: c'est presque une insulte. Heureusement, il semblerait que le président chinois se soit montré malgré tout très satisfait du cadeau, ce qui tendrait à prouver qu'en Chine aussi, les bons usages se perdent. Dans le cas d'Emmanuel Macron, on avait eu déjà la preuve de son manque d'éducation en la matière lorsque, à peine élu, il avait réservé sa première visite en dehors de France au corps expéditionnaire envoyé au nord du Mali pour tenter d'en éradiquer la menace islamiste. Apprenant cette visite, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta - dit IBK - était venu à la rencontre du président français, qui avait fait poser son avion non pas à Bamako, la capitale, mais à Gao, la principale ville du nord. Pour honorer son hôte, le président malien non seulement fit l'effort de le rejoindre à Gao, mais lui proposa un bel étalon gris de race locale. Ce que Macron - je ne sais pas en quels termes exactement - refusa. Gentiment, j'espère! Autrefois, ce genre d'affront aurait provoqué une rupture des relations diplomatiques. Cette histoire me rappelle un peu celle du cheval offert au milieu du XVIIIe siècle par le bey de Tunis, Hussein Ben Ali, au roi de France, Louis XV. Une histoire bien connue, puisqu'elle a été merveilleusement racontée (et enjolivée) par deux grands écrivains populaires: Eugène Sue en 1846 et Maurice Druon en 1957. L'animal, appelé Scham, n'avait pas eu l'heur de plaire à Louis XV, qui avait ordonné d'en débarrasser ses écuries. La pauvre bête se retrouva alors sur le pavé parisien à tirer une carriole, jusqu'à ce qu'un Anglais, de passage à Paris, discerne un formidable potentiel dans la misérable haridelle qu'était devenu ce cheval.
Pour une poignée d'avoine, il l'achète, l'amène à Londres où, après mille péripéties, le bestiau se retrouve dans le haras d'un aristocrate passionné de courses, Lord Godolphin. L'endroit est prestigieux, mais Scham y est relégué au simple rôle de souffleur. On disait, à l'époque, agaceur, ou boute-en-train. Un job assez frustrant: il s'agit pour le cheval d'aller renifler l'arrière-train d'une jument afin de déterminer si la dame est disposée, ou non, à recevoir l'hommage d'un étalon. Si c'est non, la femelle proteste vigoureusement en décochant à celui qui la renifle quelques belles ruades. Si c'est oui, on ramène le malheureux souffleur à l'écurie, pour laisser la place à un étalon de prix, auquel on ne voulait pas faire prendre le risque d'un coup de pied malencontreux. Un jour, il faut le comprendre, Sham finit par se révolter. Rompant ses liens, il alla honorer une belle alezane qui passait par là. De cette union imprévue naquit onze mois plus tard un poulain extrêmement rapide à la course. Du coup, si je puis m'exprimer ainsi, le propriétaire débaptisa Scham pour lui donner son propre nom, Godolphin, et devint le principal reproducteur de son élevage, ainsi que l'un des fondateurs d'une race appelée à un bel avenir, que les Britanniques ont le culot d'appeler le «pur-sang anglais».
Souffleur: ce fut le triste sort réservé deux siècles plus tard à un autre cheval venu d'Afrique du Nord. Nous sommes en 1975, l'Algérie a conquis son indépendance depuis une douzaine d'années lorsqu'enfin le président de l'ancienne métropole s'y rend en visite officielle. C'est un événement, que le président algérien de l'époque, Houari Boumediene, veut marquer d'un geste solennel.
Bien que simple fantassin et n'ayant jamais mis ses fesses sur un cheval, il connaît la haute valeur symbolique qu'on accorde, dans le Monde arabe, au don d'un cheval: c'est un geste de confiance et d'amitié. Il ordonne donc de trouver dans ce qui reste d'un cheptel largement décimé par la guerre et par l'épidémie de peste équine qui frappa le pays dans les années 1966-1967, un bel étalon à offrir au président Giscard d'Estaing. On en trouve un, dénommé Ouassal, un barbe pur, typique de sa race, gris, 1 m 54 au garrot, âgé de 6 ans. Plus embarrassé que honoré par cet encombrant cadeau, le président français en confie la garde aux Haras nationaux, qui ne savent trop qu'en faire, la race n'étant plus reconnue en France depuis 1962, c'est-à-dire la fin de la guerre d'Algérie et la dissolution des derniers régiments de spahis. Alors on le relégua, le malheureux, au rôle un peu humiliant de simple renifleur... jusqu'à ce que, quinze ans plus tard, et donc en 1989 ou 1990, la race soit à nouveau reconnue (et je me flatte d'y être pour quelque chose!) en France.
Voilà alors le brave Ouassal, qui n'est plus tout à fait jeune - il a un peu plus de vingt ans -, mais est encore vigoureux, autorisé enfin à saillir des juments en toute légitimité. A sa troisième saillie, le 1er janvier 1991, son coeur s'arrête brutalement.Mort d'émotion, sans doute. Loin d'être oubliée, cette triste histoire a connu ces dernières semaines un rebondissement inattendu. Dans un ouvrage intitulé «Le soleil ne se lève plus à l'est» (Plon, 2018), Bernard Bajolet, l'ancien patron de la Dgse - les services français secrets - raconte ses souvenirs de diplomate. Il a de quoi raconter, en effet, ayant été en poste, avant de diriger le Renseignement extérieur, à Sarajevo, Ammam, Alger, Bagdad et Kaboul. Evoquant son premier poste en Algérie, comme simple attaché d'ambassade, il raconte que (je cite) «c'était fâché que j'avais quitté l'Algérie de ce premier séjour en 1978». Fâché pourquoi? Parce qu'on ne l'avait pas autorisé à emme ner avec lui un cheval dont il s'était entiché, «un superbe étalon barbe à la robe blanche et aux crins argentés», appelé Qalbi, ce qui en arabe, précise-t-il, signifie Mon coeur: «Les autorités refusèrent, raconte-t-il, de m'accorder le permis d'exportation en dépit de multiples démarches, sous le prétexte que ce cheval appartenait à une race protégée.» Ces explications ont aussitôt déclenché dans la presse algérienne une vague de protestations d'autant plus véhémentes que Bernard Bajolet, dans d'autres passages de son livre, n'est pas tendre pour le régime algérien: «S'il semble avoir laissé son coeur en Algérie, écrit non sans ironie la journaliste Ghania Oukazi dans Le Quotidien d'Oran, en enjambant l'histoire, Bernard Bajolet a dû même y laisser sa mémoire!».
L'ancien patron des services secrets français semble oublier en effet qu'à l'époque des faits, c'est la France, et non l'Algérie, qui avait nié l'existence du barbe en tant que race d'élevage.
Comment reprocher dans ces conditions aux Algériens d'avoir pris, en limitant les exportations, des mesures de sauvegarde de la race? Interviewé par le journaliste, le docteur Benaïssa, que tout le monde connaît ici pour avoir été l'un des fondateurs - et le secrétaire général - de l'Omcb (Organisation mondiale du cheval barbe), a rappelé cette chronologie, qui aurait dû amener Bajolet à un peu plus de modération dans ses propos.
Une espèce de fatalité pèse ainsi sur les relations entre la France et l'Algérie à propos des chevaux. Après l'affaire Ouassal, il y eut, en 2003, l'affaire Mebrouk, un cheval offert par le lointain successeur de Boumediene, Abdelaziz Bouteflika, au lointain successeur de Giscard, Jacques Chirac: pour des raisons qui m'échappent, cet étalon fut jugé par les zootechniciens français auxquels il fut confié, indigne de représenter la race barbe pure, et fut déclassé en «arabe-barbe». Puis il y eut l'affaire Kheir: ce beau barbe, né comme Ouassal à Tiaret, alors âgé de 4 ans, fut offert à Nicolas Sarkozy. Hélas, à peine arrivé en France (en mars 2008), le pauvre animal - qui devait devenir le reproducteur de référence des Haras français - est atteint par l'épidémie d'artérite virale qui sévit alors... et doit être castré! Sous le règne du président Hollande, nouvelle malchance: en 2012, le président Bouteflika offre à son nouvel homologue français cette fois non pas un cheval, mais deux chevaux. Un mâle et une femelle: un cadeau exceptionnel!
S'il est en effet de tradition d'offrir des étalons, il est rarissime d'offrir des poulinières, sauf à vouloir honorer tout particulièrement le récipiendaire qui se trouve ainsi en mesure de perpétrer une lignée. Hélas, la forte charge symbolique dut échapper au président Hollande, les deux animaux étant séparés dès leur arrivée en France, le mâle confié au Haras du Pin, où d'ailleurs on ne pratique plus de saillies, et la femelle à la jumenterie de Pompadour, où d'ailleurs l'Etat a cessé de faire naître des poulains.
L'échange de chevaux s'est toujours mieux passé entre la France et le Maroc. Mais je ne m'étendrai pas sur le sujet, qui doit être abordé par les orateurs suivants (*).
L'autre grand pourvoyeur de chevaux diplomates aux dirigeants français fut l'Empire ottoman, et son principal bénéficiaire l'empereur Napoléon 1er.
Le Janissaire, Le Soliman, Le Bacha, Le Bajazet lui ont été offerts en 1808 par le sultan Mahmoud II, inquiet que le résultat de la rencontre à Tilsit, l'année précédente, entre Napoléon et le tsar Alexandre 1er, ne lui soit défavorable. Il suivait en cela l'exemple de son cousin et prédécesseur Selim III, qui avait offert à Bonaparte, au début du règne de ce dernier, un cheval si extraordinaire, Le Vizir, que Napoléon ne voulut jamais s'en séparer, pas même lorsqu'il dût partir en exil à l'île d'Elbe! La légende raconte que lorsqu'il vit partir ce bel étalon gris pour la France, Selim s'adressa à lui en ces termes:
«Va, mon cher Vizir! Va pour Mahomet, et va pour ton sultan! Va, et deviens le plus illustre cheval de Napoléon.» Son voeu fut exaucé.
Si le fait d'offrir un cheval a été souvent un moyen diplomatique assez efficace, une bonne façon de se concilier les bonnes grâces d'un concurrent, ou de se réconcilier avec un adversaire, il est arrivé au moins une fois que cela déclenche au contraire une véritable crise politique. Ce fut le cas, par exemple, lorsque François Mitterrand reçut, en 1993, un superbe cheval akhal teke du président d'une républiquette gazière d'Asie centrale, le Turkménistan. Au lieu de faire comme tous ses prédécesseurs - à savoir remettre l'animal à l'administration des Haras nationaux -, Mitterrand commit l'erreur de chercher à cacher ce qu'il allait en faire: l'offrir secrètement à sa fille, Mazarine, passionnée d'équitation. Pourquoi secrètement? C'est qu'à l'époque, l'existence même de la petite Mazarine, fille illégitime du président, était un secret d'Etat bien gardé. Trop curieux sans doute, certains passionnés de chevaux - catégorie à laquelle j'avoue appartenir - finirent par découvrir que le bel étalon (d'ailleurs un peu caractériel) était logé dans une discrète résidence des environs de Paris, où la fille clandestine du président venait souvent passer ses week-ends. La révélation de cette double vie d'un homme usant d'un double langage et s'affranchissant allègrement de la séparation des affaires publiques, des affaires privées provoqua un scandale qui, c'est certain, gâcha ses dernières années de règne. On le voit: offrir un cheval n'est jamais un geste anodin.
(*): J'évoquerai tout de même l'arrivée à Versailles le 16 février 1699 d'un lot de chevaux offerts par le sultan du Maroc, Moulay Ismaïl, à Louis XIV. Et l'heureuse surprise de Pierre Loti, lors de son voyage au Maroc, au printemps 1889, d'y voir la descendance de «trois juments normandes offertes par le gouvernement français à Moulay Hassan» vers 1885.


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