Réalisé par le cinéaste Michelangelo Antonioni, ce film à (re)voir absolument est une peinture de l'ambiguïté, autour de «la maladie des sentiments...». La salle Frantz Fanon de Riadh El Feth a abrité mercredi dernier la dernière projection entrant dans le cadre du cycle des films de Michelangelo Antonioni, proposé par l'association Chrysalide. Le dernier coup de coeur au film sorti en 1975, intitulé Profession reporter. Ce drame psychologique a pour personnage principal l'acteur américain Jack Nicholson. Lieu initial, Afrique du Sud où commence l'histoire, ce journaliste américain, M.Locque, fait la rencontre d'un trafiquant d'armes qui se dit être un globe-trotter, M.Robertson. Ce dernier meurt d'une crise cardiaque et l'autre décide de se mettre dans sa peau en trafiquant son passeport. Désormais, devenu quelqu'un d'autre, il partira en voyage suivant les dates et rendez-vous assignés sur le bloc-notes du trafiquant d'armes. Il fait la connaissance d'une femme en Espagne, l'actrice Maria Schneider. S'ensuivirent des scènes de poursuites insolites dans différents paysages, jusqu'à l'étouffement et le dernier souffle tue dans un plan-séquence devenu classique. Devenu un des grands créateurs du cinéma aux côtés des Bergman, Tarkouski, Antonioni est considéré comme «le réalisateur de l'incommunicabilité» qui tend à filmer le paradoxe de la vie humaine, jusqu'au moindre frémissement et ce, malgré le silence... Un silence qui en dit long sur la solitude et «l'immense tragique de l'absence». Le brouillard est souvent présent dans ses images qui aiment à se perdre, à fuir, symbolisant la dissolution de l'être. Et même si les deux personnages sont souvent ensemble, il ne demeure pas moins qu'ils restent toujours un couple disloqué, factice, ne lui répète-t-il pas constamment «que fiches-tu avec moi?» cela sous-entend tout le désarroi de cet être qui finit d'exister dès lors qu'il rompt les liens avec la vie, ses repères précédents, se dérobe même sous une nouvelle identité jusqu'à la peine fatidique, la mort. Et pourtant affirme le réalisateur: «Faire un film est pour moi vivre». Et filmer est pour lui, continuer à croire que l'on existe sans beaucoup d'illusions et en effaçant ses pas. Réaliste ou néo-réaliste, Michelangelo Antonioni est un réalisateur intemporel car ses thématiques sont des plus présentes, existentielles. Le mystère de l'autre est un caractère que les films se plaisent à pénétrer, s'en approcher. Peintre et écrivain, le cinéaste Antonioni a cette aptitude à s'envelopper dans le creux et le silence du monde et des sentiments. C'est comme un tableau devant lequel il se met à rêver, inventant de larges séquences, au travers des ombres, d'images fugitives et de signes qui se regardent plus qu'ils ne s'écoutent. Eros, son dernier film, parle encore de cet éternel mystère de l'indicible. Plus de soixante-deux années de cinéma cinématographiques et Antonioni se laisse encore se perdre dans l'errance des sentiments pour «voir» ce qui fait qu'un homme et une femme se séparent ou se rencontrent, répondent ou non au désir de l'autre... Comme le montre si bien dans son long métrage Profession reporter. Un journaliste télé au sommet de sa carrière avec une femme aimante, un enfant et un métier prenant mais excitant... Mais pourquoi décroche-t-il? Seul, lui le sait... Aujourd'hui, l'ironie du sort a voulu qu'une attaque cérébrale vienne frapper le réalisateur qui l'a partiellement privé de la parole. Cependant, Antonioni reste ce réalisateur éclairé «le plus pénétrant témoin du mal-être, de l'errance des sentiments». Un éternel vivant...