Le proche entourage du président de la République tient à rassurer l'opinion. Belkhadem, à 23 heures, avant-hier, nous déclarait à partir de Barcelone: «C'est absolument rien». La maladie du président de la République est-elle diplomatique? Cache-t-elle une bouderie quelconque vis-à-vis du sommet euro-méditerranéen de Barcelone, dont le processus du même nom et les promesses de partenariat mutuellement avantageux sont bien loin des envolées lyriques de 1995 et des attentes légitimes des peuples de la rive sud de la Méditerranée? Ce n'est pas du tout sûr. Connaissant l'homme, son pragmatisme et sa franchise légendaires, on sait qu'il se serait fait un plaisir d'aller dire leurs quatre vérités aux responsables des Etats de l'Union européenne. N'a-t-il pas, dans un précédent message, déclaré que le partenariat euro-méditerranéen était un échec mais tout en appelant à la poursuite de l'expérience, en en corrigeant les erreurs. Travailleur acharné, l'homme sait aussi où il va et il n'a pas sa langue dans sa poche. Cet ancien ministre des Affaires étrangères, qui sait ce que diplomatie veut dire, ne va pas par trente-six chemins pour attirer l'attention sur ce qui lui semble être un travers. De fait, les participants au sommet de Barcelone ne peuvent que constater le fossé qui se creuse entre les riches de la rive nord et les pauvres de la rive sud, le partenariat à sens unique, dans lequel les pays de la rive sud sont devenus un marché immense pour les produits du Nord, qui leur demandent chaque jour un peu plus d'abattre les barrières tarifaires sans contrepartie. L'un des axes favoris des pays du Nord, notamment dans le cadre des 5+5, n'est-il pas depuis longtemps consacré aux problèmes des flux migratoires, tandis que les Africains sont parqués dans les centres de transit de Lampedusa, ou refoulés de manière inhumaine devant les barrières des enclaves de Ceuta et Melilla? Donc si le chef de l'Etat n'est pas allé dans la capitale catalane, c'est bien parce que, comme le dit le communiqué de la présidence, et le confirme un communiqué du ministère français des Affaires étrangères, il souffre de troubles digestifs. Agé de 68 ans, le président ne s'est pas reposé depuis plus de six ans. Globe-trotter au long cours, il a sillonné la planète d'un point à un autre, ne laissant ni la Chine, ni les Etats-Unis, ni Paris, ni aucun des cinq continents, — et ne parlons pas des pays arabes et africains. Assez souvent, il ne rentrait sur Alger que pour donner des instructions aux membres du gouvernement et à ses proches collaborateurs. Toute cette activité a eu pour effet de sortir l'Algérie de son isolement. Et ce n'est pas peu dire, après près d'une décennie de terrorisme et de mise à feu et à sang du pays, le coupant de ses principaux relais et contacts avec l'extérieur. Il prenait de même son bâton de pèlerin toutes les fois que le devoir l'appelait, pour jouer les bons offices entre parties belligérantes ou pour plaider la cause de l'Afrique et des pays pauvres de la planète, notamment les plus endettés d'entre eux, dans les instances internationales, comme l'ONU ou le G8 (groupe des huit pays les plus industrialisés). Mais le président n'est pas seulement féru des voyages à l'étranger. Très souvent et toutes les fois que la nécessité s'en fait sentir, il va aussi à la rencontre du pays profond. Il y eut ses grandes tournées à travers le territoire national à l'occasion des campagnes présidentielles, en 1999 et en 2004, mais cela a été également le cas pour la concorde civile en 1999 ou pour la réconciliation nationale en 2005. Ses collaborateurs étaient du reste en train de lui préparer un programme pour une tournée à travers les 48 wilayas du pays dans les tout prochains jours, pour inspecter les chantiers et en lancer d'autres, d'autant plus qu'il est très insatisfait du rythme auquel vont les réformes. Le programme de soutien à la croissance de 55 milliards de dollars, dont il a lui-même tracé les grandes lignes, peine à démarrer. D'autres programmes, dont celui du million de logements à l'horizon 2009, et tous les autres projets (travaux publics, création de microentreprises) requièrent également une attention particulière de sa part. On l'a vu avec surprise évoquer à Tunis le programme Ousratic d'un PC pour chaque famille en cinq ans, alors même que le même programme rencontre moult problèmes dans sa concrétisation. En d'autres termes, il faut toujours que le chef de l'Etat en personne donne une impulsion à un projet pour qu'il puisse démarrer ou voir le jour. Une telle capacité de travail et une telle sollicitude ne peuvent qu'exiger une tension de tous les instants, provoquant à terme une fatigue et une saturation. Après tout l'être humain n'est pas une machine. S'occuper à la fois des problèmes du monde et des problèmes domestiques entraînent une usure tout à fait normale. On pourra également souligner la transparence dans la communication officielle sur la santé du président. Dès son absence des travaux des conseils économiques et sociaux africains, des supputations allaient bon train sur les raisons de l'absence du président à la cérémonie de l'inauguration, jusqu'au moment où le communiqué de la présidence, rapidement répercuté par l'Entv, a informé les citoyens sur le transfert du chef de l'Etat à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris.