Les marcheurs, hommes et femmes, se sont, côte à côte et sans aucun sexisme, réapproprié la rue et poursuivi leur marche. Au troisième vendredi, la rue ne décolère toujours pas malgré l'impressionnant dispositif policier déployé hier un peu partout dans les points stratégiques de la deuxième capitale du pays, Oran. Après les étudiants et leurs professeurs, les lycéens et les écoliers, le tour est venu, cette fois-ci, aux femmes de battre le pavé en s'exprimant tout en exprimant leur position vis-à-vis du mouvement populaire à l'occasion de la célébration mondiale de sa journée, le 08 mars. Appuyées par plusieurs milliers d'hommes, elles étaient toutes sulfureuses, gracieuses et affables en souriant au premier homme qu'elles rencontraient sur leur chemin, notamment les quelques indécis, de la procession et les policiers. Ces femmes se sont mises dans leurs belles toilettes arborant, à la fois fermement et fièrement, le drapeau national en ralliant dès les premières heures de la matinée d'hier, groupe après groupe, la célèbre place d'Armes, place du 1e Novembre actuellement. Leurs seules et uniques «armes», étaient des banderoles pleines de couleurs sur lesquelles l'on peut lire lisiblement des revendications démontrant la maturité politique très avancée de l'éternelle partenaire de l'homme, la femme. 14 h 10 a sonné. Sous les youyous lancés à gorge déployée par plusieurs centaines de femmes, la procession s'est mise en branle, comme dans une grande fête nationale, laissant seuls les Deux Lions veiller sur l'Hôtel de Ville, la bâtisse abritant le siège de l'Apc d'Oran. La foule vire aussitôt vers la droite pour emprunter la rue Emir Abdelkader. La première direction prise est la bâtisse géante abritant la mouhafadha du FLN d'Oran, faisant face au célèbre hôtel de Timgad ou encore le Grand café Riche où une petite halte a été observée. Comme dans une grande chorale, les manifestants n'ont pas improvisé en scandant à gorge déployée «Y en a marre de ce pouvoir sous le rythme chant du patriotique «Mawtini Ma Patrie». Les marcheurs, hommes faisant les beaux, et les femmes vêtues de belles tenues aux couleurs chatoyantes, avocats, syndicalistes, jeunes, moins jeunes, des familles entières accompagnant leurs enfants, ont poursuivi leur chemin jusqu'à la bifurcation liant la rue Emir Abdelkader boulevard Hamou Boutelilis pour tourner aussitôt vers la gauche en empruntant la longue rue portant le nom de l'immortel chahid Larbi Ben M'hidi. La très longue ex-rue d'Arzew a servi de tribune pour les manifestants constitués en ténors scandant, à tue-tête les très en vogue slogans de ces trois dernières semaines de ce printemps: «non au 5e mandat». «Djazayer Houra Democratia (Algérie libre et démocratique», «presse et journalistes libres», «pacifique, pacifique, pacifique» et tant d'autres de slogans fermes et hostiles aussi bien à Bouteflika qu'au pouvoir en place, mais sans que les manifestants ne versent dans l'invective ni dans la provocation». Arrivés au lycée Lotfi, les manifestants ont arpenté la voie menant à la wilaya d'Oran où ils ont encore une fois observé une halte, sans fracas, de manière pacifique pleine de symboles. Après le «repos du guerrier», les marcheuses ont rallié le boulevard de l'Aln, ex-front de mer, scandant toujours les mêmes slogans et les mêmes revendications avant de se regrouper au point de départ, la place d'Armes, et se disperser dans le calme plat tout en retirant de leurs poches de grands sacs à poubelle pour se mettre dans une autre besogne, nettoyer proprement dit la ville. L'activiste politique, Malik Chekaklia, n'a pas dissimulé sa satisfaction quant à la réussite de la marche d'autant plus qu'elle a été marquée par la présence de toutes les forces vives de la nation. Il dira en ce sens que «l'action populaire est claire dans ses visions: passer à une deuxième République sans aucune brusquerie». D'ailleurs, les manifestants l'ont démontré dans leur marche d'hier en n'en voulant aucunement aux institutions républicaines hormis leur volonté de les redresser par des moyens pacifiques et démocratiques et sans verser dans l'amalgame ni dans la confusion ni encore moins dans la vindicte populaire. Les Algériens se sont donc réapproprié la rue. Mais, faut-il le souligner, ces marches sont aussi synonymes explicites et directes de la volonté des populations locales quant «à la chute de l'actuel système». À l'heure ou nous mettons sous presse, aucun dérapage, petit soit-il, n'a été enregistré.