Le Washington Post, qui a lancé le premier l'affaire, est revenu à la charge, jeudi dernier, en dénonçant nommément «une démocratie de l'Est». La CIA possède des prisons secrètes en Europe et ailleurs dans le monde. L'Europe s'en émeut, Washington ne dément pas, mais le Washington Post, qui a été à l'origine de l'affaire, persiste et signe et va encore plus loin en dénonçant, dans sa livraison de jeudi, qu'une «démocratie» de l'Europe de l'Est a, elle aussi, été une «escale secrète» pour les vols tout aussi secrets de la CIA. Dans ce nouveau scandale qui éclabousse la Maison-Blanche, l'urgence pour Bush est de rassurer ses alliés européens, qui «exigent» des explications précises, et pas n'importe lesquelles. En fait, l'Union européenne menace de faire tomber de lourdes sanctions sur les pays de l'Union qui ont permis de telles pratiques. De son côté, Amnesty International a dévoilé, avant-hier, lundi, que «près de 800 vols affrétés par la CIA pour transporter des prisonniers soupçonnés de terrorisme ont été effectués via des aéroports européens entre 2001 et 2005». Selon les chiffres de l´organisation de défense des droits de l´Homme, les documents de vol concernant six avions utilisés par la CIA entre septembre 2001 et septembre 2005, prouvent que ces appareils ont atterri sur des aéroports européens ou décollé à partir d´aéroports européens à quelque 800 reprises durant cette période. Ces avions auraient notamment atterri à 50 reprises sur l´aéroport irlandais de Shannon, affirme Amnesty, citant des documents de vol obtenus auprès de l´Administration fédérale américaine de l´aviation. Ces chiffres d´Amnesty viennent encore renforcer les accusations selon lesquelles la CIA aurait utilisé des aéroports européens pour le transport, dans le plus total secret, de prisonniers suspectés de terrorisme vers des prisons américaines secrètes en Europe ou vers des pays pratiquant la torture. C'est peut-être dans ce contexte qu'il faut replacer le périple européen de la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice. Elle a déclaré hier à Berlin que «le renseignement est la clé absolue du succès» dans la guerre menée par son pays contre le terrorisme international, qui vise «des cibles innocentes», dans un premier pas adressé à l'endroit des pays de l'Union, lesquels pressent les Etats-Unis de «s'expliquer sur les prisons secrètes disséminées à travers l'Europe». «Nous sommes des pays qui respectent la loi», a affirmé la chef de la diplomatie américaine, lors d´une conférence de presse avec la chancelière allemande, Angela Merkel, plaidant pour une coopération des services secrets des pays démocratiques. «Nous avons à adhérer d´un côté aux principes de la démocratie, tandis que, dans le même temps, nous devons faire en sorte que nos services de renseignement puissent effectuer le travail pour lequel ils ont été créés», a-t-elle ajouté, sans donner de réponses sur les informations de presse faisant état de vols et de prisons secrètes de la CIA en Europe où des prisonniers islamistes auraient été torturés. Le terrorisme international «vise des personnes innocentes», a-t-elle tenté de faire valoir, affirmant qu´il s´agissait de déjouer ces plans avant qu´ils puissent être mis en oeuvre. «Grâce au travail des services de renseignements, nous avons sauvé des vies américaines et des vies européennes», a-t-elle ajouté. Evoquant la question controversée des vols de la CIA et des prisons secrètes supposées de celle-ci, Rice a une nouvelle fois rappelé que la nouvelle guerre contre le terrorisme est «un défi» et rend nécessaire de «faire tout notre possible pour protéger nos citoyens». Tandis que les protestations s'élèvent, l'implication de pays qui passaient pour être jusque-là au-dessus de tout soupçon, est percée à jour. On parle des pays nordiques, comme la Suède ou la Norvège, de pays asiatiques, comme les Philippines, et aussi de pays maghrébins, où seul le Maroc aujourd'hui est épinglé. La Roumanie, la Pologne ,la Serbie et peut-être même l'Espagne devront s'expliquer sérieusement sur la question. Si de prime abord le problème paraît simple, il s'agit en fait de quelque chose d'extrêmement grave : la sous-traitance de la torture. Tous les pays qui ont accepté de détenir au secret des islamistes ont participé activement à la création du non-droit, de la torture clandestine et de l'élaboration d'un nouveau concept sécuritaire moderne, et qui passe du tout-répressif au «no man's land juridique». Il n'y a pas très longtemps, Le Monde parlait récemment de «sites noirs» et rapportait que le Sénat américain lui-même a exigé que le chef du renseignement l´informe précisément sur les prisons secrètes gérées par la CIA, où qu´elles se trouvent. Le Washington Post de son côté, a affirmé que la CIA avait envoyé plus de 100 suspects détenus illégalement après le 11 septembre dans un réseau secret de prisons, surnommées "sites noirs" et financées par l´agence américaine en Europe de l´Est et dans d´autres pays, notamment la Thaïlande et l´Afghanistan. La CIA avait ensuite demandé au département de la justice d´enquêter sur "les fuites d´informations sur les prisons". Après la Thaïlande, les démentis officiels se sont succédé en Europe de l´Est sur l´existence de ces prisons secrètes pour responsables d´Al Qaîda, tant en Bulgarie qu´en Hongrie, Roumanie et Pologne. Mais le «flux excessif» de vols de la CIA vers ces pays cités, et vers d'autres encore qui restent à trouver, relève du domaine du suspect. Dans le plus pur jargon du terroir algérien, on dit qu'il y a «un chat dans le sac», c'est l'équivalent d'«anguille sous roche».