Les élections législatives prévues jeudi prochain en Irak constituent un tournant crucial pour un pays à la recherche de son unité et de sa stabilité. Placé sous haute surveillance, le scrutin du jeudi en Irak se présente pour les Irakiens comme un enjeu complexe, un quitte ou double, plein d'ambiguïté pour un pays plongé depuis plus de deux ans et demi dans une spirale de violence qui ne se dément pas. En Irak, en fait, se joue le 15 décembre prochain un avenir suspendu à ce que les Irakiens veulent en faire dont le scrutin législatif doit en dessiner les contours. Personne en Irak ne peut en fait savoir ce que sera cet avenir qui reste conditionné par un retour à la sécurité d'abord, à une réelle participation de tous les Irakiens à la gestion de leur pays d'autre part. C'est sans doute dans ce contexte quelque peu particulier, alors que le spectre de la division reste menaçant, que les appels à voter, singulièrement aux sunnites, se sont multipliés ces derniers jours et semaines. Le dernier appel a été celui de l'OCI (Organisation de la conférence islamique, qui a tenu le week-end dernier un sommet extraordinaire à La Mecque) qui a pressé les sunnites à prendre part à une élection qui s'avère décisive pour l'Irak. Dans un communiqué publié hier à Djeddah (siège de l'OCI), le secrétaire général de la Conférence islamique, Ekmeleddin Ihsanoglu, a invité les sunnites à «participer massivement et efficacement au processus électoral afin de s'assurer une marge d'influence dans le processus constitutionnel (en Irak)». Faisant référence au boycott des élections législatives du début de l'année, M.Ihsanoglu, a ajouté que les sunnites pourront ainsi «rattraper le tort qu'ils se sont faits et leur marginalisation lorsqu'ils ont boycotté le précédent scrutin, altérant leur présence sur la scène politique (irakienne)». Il est de fait que l'absence de représentants de cette communauté dans les nouveaux rouages de l'Etat qui se mettent en place a grandement nui au processus de réhabilitation de l'Etat d'une part, aux intérêts des sunnites dans le nouvel Irak d'autre part, sur la stabilité du pays miné par les violences, enfin. Cela d'autant plus que l'intégrité territoriale de l'Irak est de plus en plus menacée par l'émergence de centres de décision politiques multiples. Plus encore que les législatives du 30 janvier, celles du 15 décembre engageront les Irakiens pour la durée, aussi une nouvelle défection de l'électorat sunnite, singulièrement, risque de peser lourdement sur l'avenir du pays. Dans la perspective de permettre à tous les Irakiens de prendre part à cet important rendez-vous électoral, la Commission électorale indépendante a indiqué hier avoir demandé aux autorités politiques et militaires l'arrêt des opérations militaires, menées depuis plusieurs semaines dans les régions à forte population sunnite, notamment dans la province rebelle d'Al-Anbar. Dans une déclaration faite à la presse, un responsable de la Commission électorale, Adel Lamy, a indiqué en effet, «Nous avons rencontré les chefs militaires irakiens et de la Force multinationale et nous avons souligné la nécessité d'apaiser la situation et de ne pas lancer d'offensives militaires» «Ils se sont montrés compréhensifs et ont promis de cesser ces opérations sauf dans les cas de légitime défense», a-t-il ajouté. Evaluant la situation en Irak à quatre jours du scrutin, M.Lamy a affirmé: «J'ai pris connaissance de la situation, il y a deux heures (hier, ndlr), et je peux dire que les différentes provinces ne connaissent pas actuellement de troubles ou de violences». En tout état de cause et pour parer à toutes les éventualités des mesures de sécurité draconiennes ont été prises par les autorités de Baghdad, en prévision du vote du 15 décembre, par l'instauration d'un couvre-feu (entre 22h00 et 06h00 locales) sur toutes les provinces du pays à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 17 décembre, l'interdiction du port d'armes, alors que les aéroports du pays seront fermés du 14 au 16 décembre ainsi que la fermeture des frontières internationales et celles des limites territoriales entre les 18 provinces irakiennes. De fait, pour assurer une «journée électorale calme» (il y a eu trente morts lors du scrutin du 30 janvier selon un chiffre officiel) les autorités de Baghdad, outre d'avoir libéré les fonctionnaires et les travailleurs (pour les journées des 13, 14, 15 et 16 décembre) ont quasiment mis l'Irak à l'arrêt durant cette période clé de mise en phase des nouvelles institutions du pays. Ces mêmes mesures, rappelle-t-on, ont été prises lors du référendum pour la Constitution du 15 octobre dernier, amenant le ministre de l'Intérieur, Bayane Jabr Soulagh, à appeler de ses voeux un vote aussi tranquille indiquant: «Nous espérons une journée calme, comme celle du référendum». Pendant ce temps la campagne électorale, qui entre dans sa phase finale, s'intensifie avec les accusations proférées par différents candidats contre le gouvernement. Ainsi, l'ancien Premier ministre du gouvernement intérimaire irakien, Iyad Allaoui, président du Mouvement de l'Entente nationale, accuse les forces de sécurité et son successeur, Ibrahim Al-Jaafari, indiquant: «Les forces de sécurité se livrent à des exactions contre les candidats, divisant le pays et le plaçant au bord du gouffre de la guerre civile qui peut l'embraser à tout moment» M.Allaoui, un chiite laïc, s'en est pris également au gouvernement Al-Jaafari dominé, selon lui, par les religieux, déclarant: «Trois ans après la chute du régime de Saddam Hussein, le pays s'est appauvri, s'est divisé et compte pour sa survie sur les forces étrangères». Iyad Allaoui donne ainsi le ton à une campagne électorale qui s'est durcie à l'approche du jour fatidique du 15 décembre.