Le Hirak est-il démuni de réels représentants? Il y a au moins trois raisons qui expliquent cette tiédeur intellectuelle à aller prendre le gouvernail du Hirak. Tétanisée au milieu d'un vaste champ d'action que lui offre le Hirak, l'élite nationale est comme effarouchée. Plus de deux mois après le début de la révolution pacifique, le peuple ne trouve pas d'échos auprès des élites pourtant sollicitées pour représenter ce grandiose mouvement et servir d'interface auprès du Haut Commandement militaire qui incarne l'autorité politique suprême depuis la démission du président Bouteflika le 2 avril dernier. Le pays n'a pas encore vu l'émergence d'une figure capable d'assumer une responsabilité loin des clivages identitaires, politiques et des démons religieux. Un déficit pousse fatalement le pays dans une impasse politique aux lendemains incertains. Pourtant, le Hirak regorge d'une élite essentiellement jeune, compétente et intègre capable d'encadrer le mouvement et conduire une transition sereine pour l'avènement d'une IIème République. Incapable de trouver des solutions à la crise que traverse le pays, cette même élite est disqualifiée. Chacun se contentant d'assumer son statut dans son domaine de prédilection, avocat, historien, politologue, écrivain ou journaliste sans franchir son champ d'action et sans autre prétention d'agir dans son cadre limité. Elle s'est mise elle-même hors jeu. Prenons l'exemple de la presse nationale. C'est l'aridité totale. Aucune proposition de sortie de crise n'est venue de cette corporation pourtant censée agiter les idées. C'est au mieux que les médias se sont érigés en tribunaux autoproclamés condamnant et amnistiant, à leur bon vouloir, des acteurs politiques ou économiques. Comment expliquer alors cette tiédeur intellectuelle à aller prendre le gouvernail du Hirak? Il y a au moins trois explications à cette réticence. Il y a d'abord l'éternel problème d'ego. «Comment moi avec ma renommée, ma supercompétence vais-je me rabaisser à monsieur tout-le-Monde?», s'entend-on dire. Cette catégorie se considère en effet prédestinée de manière quasi automatique à jouer le rôle de leader incontesté. D'autres scrutent la direction du vent et attendent une éventuelle cooptation. Enfin, pour d'autres, il s'agit de surfer sur la vague du Hirak avec l'ambition de se présenter à la présidentielle prochaine. Mais, tirer à vue sans discernement pour décréter que toute l'élite algérienne a totalement failli à son devoir, serait une exagération malhonnête. La double décennie «Bouteflikienne» a en réalité créé deux sortes d'élite. Une première domestiquée, clientélisée et servie à la louche au prix de sa compromission et une seconde marginalisée, réduite au silence et persécutée, pour être poussée à l'exil. Il faut reconnaître à cette dernière un travail en profondeur fait d'éclairages, analyses et dénonciations, qui, aidée par la faillite politique du pouvoir, a fini par rallier une majorité devenue réceptive à son discours de rupture. Cependant, après 11 vendredis de manifestations grandioses, pacifiques, la peur commence à succéder à la liesse et l'inquiétude des lendemains entame la patience des populations. «Où allons-nous? Qui doit guider ce mouvement après cette action d'éclat ayant libéré les esprits et les énergies? Le Hirak est-il à ce point démuni de réels représentants faisant l'unanimité après deux mois d'existence?» Interrogations légitimes, car il s'agit de briser le statu quo mortel et éviter que le pays ne sombre dans une nouvelle anarchie. Pour que l'arbitrage de l'armée ne soit pas perçu comme une soumission politique, il faut lui ajouter un adjuvant intellectuel. Que faire dans ces moments d'incertitude, sinon solliciter l'élite du pays? Mais cette élite ne répond point! La nature, comme l'armée d'ailleurs, ayant horreur du vide, c'est le commandement militaire qui occupe l'espace politique pour lequel il n'était pas destiné.