L'équipe du film Roubaix une lumière d'Arnaud Despleshin Sciamma impériale, Despleshin royal, Kechiche incontrôlable. On la savait aussi discrète que consciencieuse, Céline Sciamma, et on a découvert, chez l'auteur de «Portrait de la jeune fille en feu», un sens du détail propre aux peintres de talent qui ont le coup d'oeil et le sens des nuances. Une palette de sentiments, de couleurs qui donnent à ce film, qui a la modestie des grandes oeuvres, chevillées au corps, une résonance toute particulière. En racontant l'histoire de cette artiste-peintre (Adèle Haenel) qui part effectuer le portrait d'une mystérieuse future mariée (Noémie Merlant), la cinéaste, va au-delà de l'exécution de cette commande, savamment, elle alliera le fond et la forme, débordant du cadre de la toile pour s'étendre à tout l'écran. Des images et des sentiments Les chromatiques, les lignes de fuite du peintre et de la cinéaste se complèteront, impulsant à l'image une esthétique peu courante dans ce genre de cinéma. De la couleur des sentiments de ces personnages, suinte, comme du fameux Saint suaire de Turin, ceux de Céline Sciamma, qui opère par touches régulières, pour relater l'histoire, située en 1770, d'une passion ignifuge d'une peintre et de son modèle et subrepticement, à bas bruit, celle d'une cinéaste, de son film et des personnages qui le portent. Du beau travail, aussi où les raies spectrales sont utilisées pour dire, douloureusement, les affres de la tourmente amoureuse d'une mère (Valéria Golino) pour sa fille Marianne ((Noémie Merlant) qui s'apprête à rejoindre son futur mari, à Milan, mais aussi de la passion flamboyante qui consumera aussi la portraitiste, Marianne. Lumière décomposée par les vents contraires de la Bretagne maritime et recomposée avec brio par la chef opératrice, Claire Mathon, confère à cette oeuvre une dimension qui va au-delà de l'image reproduite, pour se projeter dans la littérature. Il y a du Lamartine vue par une Jane Campion qui, du coup apparaît en muse putatif de la cinéaste française qui ne serait sûrement pas surprise de cette parentèle. De l'image il en sera aussi question, surtout quand elle est de cette facture dont on fait les beaux films, tel «Roubaix, une lumière» de Arnaud Despleshin. Un film apaisant, comme pour mieux contenir les affres d'un quotidien sinistré, de cette ville du nord de la France, Roubaix, qui a eu son heure de prospérité du temps où l'industrie textile était à son apogée. Avant l'arrivée invasive du tissu asiatique... Le film apaisant de Despleshin Le pitch? «Roubaix, une nuit de Noël. Le commissaire Daoud sillonne la ville qui l'a vu grandir. Voitures brûlées, altercations... Au commissariat, vient d'arriver Louis Coterelle, fraîchement diplômé. Daoud et Louis vont faire face au meurtre d'une vieille dame. Deux jeunes femmes sont interrogées, Claude et Marie. Démunies, alcooliques, amoureuses.» Pour ce film, Despleshin n'aura pensé qu'à un seul acteur, Roshdy Zem, pour lui faire endosser le costume du commandant Daoud, un flic «melvillien» (François Perrier, dans le «Samouraï»). Du Gorki, celui des «Bas fonds» il y en aurait également, même si le cinéaste confie avoir lu «Crimes et châtiments» avant de s'attaquer à ce projet. Sans oublier Kamel Daoud, pour le patronyme de son commissaire. Il y aurait aussi du Bernanos. «Daoud est un oeil, et une oreille. Il voit le monde, et l'accepte. Comme me l'enseignait Serge Daney», confie Despleshin qui a offert à Roshdy Zem un de ses plus beaux rôles à l'écran. Il est rare en effet qu'un personnage, dans un film, surtout quand il détient le rôle-titre, fasse montre d'une telle générosité au point de mettre dans la lumière, ceux que la condition humaine, la société donc, aurait relégués à la marge. Le commandant Daoud avance dans son enquête, dans sa ville, dans sa vie. Mais c'est aussi celle d'une condition féminine, paupérisée à l'extrême qu'il nous donne à voir, de la plus délicate des manières. Le réalisateur via son fil d'Ariane, Roshdy Zem, donnera à voir le dicible (même quand il est révoltant) se gardant, toutefois, de toute velléité démonstrative... Même l'ellipse est utilisée, sans aucun bruit. On pense, notamment à cette nacelle qui monte à la hauteur des guirlandes de fêtes de fin d'année, accrochées en enseigne contre un mur, pour la décrocher, quelques instants avant la fin du film qui s'était ouvert par un échange de voeux de Noël... «Rendre hommage à la trivialité des mots, à leur mystère», confie Arnaud Despleshin comme pour mieux expliciter ici, sa démarche filmique, riche de cette économie de mots et de gestes. Le fiasco de Kechiche C'est ce qui rend, encore plus forte, cette véritable spéléologie de l'humain à laquelle convie «Roubaix, une lumière». Roshdy Zem en a été aussi bien l'outil de prospection que le matériau. Chapeau! On ne dira pas autant de «Mektoub, my love, intermezzo» de Abdelatif Kechiche qui a joué à la roulette russe avec le public cannois (toutes catégories confondues), en se croyant, fort de la bonne réputation qu'il a eue avec ses premiers films («L'Esquive», «La graine et le mulet» notamment) pour se croire intouchable là où les sélectionneurs du festival de Cannes avaient essayé de le situer: au niveau de l'Olympe des détenteurs de la Palme d'or «La vie d'Adèle»... Erreur! Le cinéaste avait puisé dans la boîte à caprices, cette fois, au lieu de la boîte à outils. Car c'est bien un caprice de riche que d'imposer un scopitone de plus 180 minutes dans un film de quatre séquences, au total, pour débiter un discours des plus misogynes, en sus d'un «clip-chiottes» (13 minutes tournées dans les toilettes du dancing!). Assurément, ce fut la soirée de gala la plus pénible pour le cinéaste et les jeunes interprètes de ce film, peu aisée à qualifier... «Howard Hawks filmait à hauteur d'homme. Kechiche préfère placer sa caméra en bas du dos. Question de point de vue», fera cruellement remarquer, Eric Neuhoff, critique au Figaro. La première victime, de ce point de vue, Ophélie Bau, aura préféré l'esquive (pas le film bien sûr) dans le noir, avant la fin de ce film qui a dû la mettre dans un état que l'on imagine peu confortable. Comme l'ont été nombre de critiques et de spectateurs qui auront aussi opté pour la désertion, de cette salle qui prenait l'aspect et au fil des minutes (206 minutes, en tout!), d'un piège... Dommage pour Kechiche et pour le cinéma...