Soixante-dix ans, après, Cannes ne laisse pas tomber ses paillettes, mais ne paraît pas trop réticent à essayer de nouveaux fards... Pourvu que le rouge ne monte pas au front du cinéma... L'ambiance, toute en discrétion, rappelle, celle qui prévalait lors de la première guerre du Golfe, avec un ciel plus bleu, qu'à l'époque, qui avait frappé la plupart des présents par la grisaille ambiante de la voute céleste cannoise, d'alors. Sinon le décor reste le même, tapis rouge déroulé sous les flashs, hier matin, qu'emprunteront les happy few qui monteront les fameuses «marches», pour la cérémonie d'ouverture de la 70e édition du festival de cinéma, le plus couru au monde et pour lequel, 1930 longs métrages, y ont été proposés. Au final, et l'on sait depuis environ un mois, 49 films ont été retenus dont 19 en lice pour la Palme d'Or. Dans la section «Un Certain Regard», dans laquelle a été retenue la coproduction algéro-française «En attendant les hirondelles», du très prometteur cinéaste algérien, Karim Moussaoui, ils seront au total 16. Vingt-neuf pays auront leur pavillon hissé sur le front de mer, dont le vert et blanc, of course... Au large, un bâtiment de la marine de guerre mouille... A terre, le kaki est essaimé par-ci par-là. Les portiques sont à toutes les issues empruntées par les festivaliers. Le nombre de vigiles-scanneurs, plus que triplé. Mais tout cela se déroule avec le sourire, ou le calme. Ou les deux. Le calme, c'est ce qui aura manqué au personnage interprété par Mathieu Amalric, dans le film de son mentor et complice Arnaud Despleshin, «Les Fantômes d'Ismaël», que les présents à la soirée d'ouverture auront découverts et suivi, avec plus ou moins d'assiduité. Il est vrai que l'histoire de la fabrication, par Ismaël, de ce film autour d'Ivan (Louis Garrel), le frère disparu, parasité par l'intrusion d'une revenante, dans le sens premier du terme, le fantôme de sa défunte femme (Marion Cotillard), et qui va empoissonner l'existence de son actuelle compagne (Charlotte Gainsbourg). Despleshin, le cinéaste lacanien, talentueux, quand son côté torturé ne prend pas ses quartiers d'hiver, a toujours fait des propositions, parmi les plus intéressantes du cinéma français. Mais hier soir, les vieux fantômes, ont, selon toute vraisemblance, parasité aussi les intentions artistiques de leur auteur. Au point de ne pouvoir trancher, afin de décider de la bonne version finale. Celle montrée hier soir est plus courte de 20 minutes, par rapport à celle vue à Paris, en projection de presse. Celle que le cinéaste appelle la «Director's cut», allusion à ce fameux final cut dont Hollywood avait longtemps privé les cinéastes. En France, le montage final est toujours négocié, avec la production, souvent dans le sens du réalisateur. Visiblement cette fois, les financiers n'étaient pas très portés sur les longueurs proposées. Dilemme auquel est de plus en plus confronté, Abdelatif Kechiche, par exemple... Toujours est-il qu'à Cannes, on aurait été mieux inspiré de montrer la version longue (donc celle de Despleshin). Maintenant, le dernier mot sera laissé au public, au marché. Du marché il sera beaucoup question cette année, et ce n'est pas la présence incontournable de l'important Marché du Film, le «Woodstock» des vendeurs internationaux, qui en serait la cause, mais les nouvelles habitudes de consommation, capitalistes d'essence, et dont le Cheval de Troie aura pris, cette fois, les contours, de Netflix... La plateforme américaine, récemment apparue dans le paysage audiovisuel mondial, a pour particularité de financer des films, qui sont diffusés en ligne le jour-même de leur sortie (minimaliste en salles, dans le seul pays d'origine, souvent). La France qui a une des seules lois qui défend, dans le cinéma, l'exception culturelle, interdit l'offre de VàD que trente-six mois après la sortie en salle. C'est d'ailleurs fort de cette juridiction que les exploitants de salles de cinéma, sont montés au créneau, ce qui obligea le comité cannois a ajouté une ligne dans son règlement, (effective dès 2018) stipulant que la sortie en salles, en France, des films, sera la condition sine qua none pour leur passage au festival. Aux USA les salles art et essai où passe le cinéma indépendant auront complètement disparu avant la fin de cette décennie, ce qui explique le peu de résistances rencontrées par Netflix. En France il reste quand même un peu plus de 700 salles! Mais, comme si Cannes, avait anticipé, sur l'air du temps à venir, (Macron est devenu entre-temps président de la France), il a tendu une oreille, plus qu'attentive, aux bruissements du marché, s'ouvrant, cette année, timidement certes, aux séries. Mais si Netflix a l'air d'encaisser le coup, son rival potentiel, Amazon, se tient tapi dans l'ombre... Il produit des films, sans conditions aucunes (pour le moment). Soixante-dix ans, après, Cannes ne laisse pas tomber ses paillettes, mais ne paraît pas trop réticent à essayer de nouveaux fards... Pourvu que le rouge ne monte pas au front du cinéma...