Les circonstances tragiques du décès de Kamel-Eddine Fekhar ont choqué beaucoup d'Algériens, d'autant que l'homme, militant politique et des droits de l'homme connu, était incarcéré sous le régime de la détention provisoire. Il était en prison en attente de son procès. L'un de ses coaccusés, maître Dabouz, a été placé sous contrôle judiciaire pour les mêmes chefs d'inculpation. L'on pourrait se demander la raison de ce traitement différencié. La réponse est toute simple: l'avocat a bénéficié de la mobilisation de ses confères qui n'avaient pas admis qu'un des leurs puisse faire de la prison alors que sa culpabilité n'avait pas été établie. C'est maître Dabouz lui-même qui a fait cette révélation lors d'un entretien qu'il a accordé à un site Internet d'information. Le juge d'instruction qui a décidé le placement de Kamel-Eddine Fekhar en détention provisoire a eu recours à une procédure exceptionnelle en pareilles circonstances. Car, et la loi est claire sur ce chapitre, en Algérie la liberté provisoire et le contrôle judiciaire sont la règle, tantdis que la détention provisoire est l'exception. Celle-ci est censée être encadrée par des articles de loi précis. La justice n'innove pas en la matière. Beaucoup de pays ont adopté ce genre de mesures, dans le cadre du principe de la présomption d'innocence, qui relève, faut-il le rappeler, d'un des droits fondamentaux de la personne humaine. Kamel-Eddine Fekhar, qui a entamé une grève de la faim en prison, n'avait, en principe, pas à recourir à ce moyen de lutte, si l'institution judiciaire avait mis en premier, le principe de la présomption d'innocence. Le militant des droits de l'homme aurait comparu libre à son procès, sans qu'il ait besoin de se faire violence en se privant de nourriture. Son action a conduit à un drame et rappelé toute la tare que traîne notre justice. Celle-ci se donne la mission de protéger la société des délits et des crimes, mais ne semble pas prendre en considération le fait qu'elle a systématiquement à faire avec des êtres humains. Des Algériens. En déshumanisant l'acte de rendre la justice et ne faisant aucun cas de la personne qui se présente devant le juge, l'institution judiciaire fait montre d'une «froideur» qui l'éloigne forcément de sa mission première. C'est actuellement la problématique de la justice en Algérie. Le cas Fekhar illustre assez bien cet état de fait. Même si l'on considère qu'aucun magistrat ne souhaitait cette fin tragique, il reste que dans l'ADN du système judiciaire, il n'est accordé aucune importance à la personne humaine, aux souffrances qu'elle peut subir «injustement», si au final, elle est reconnue innocente du délit qu'on lui reproche. On rend la justice au nom du peuple, pour défendre la société, mais on oublie que cette société est composée d'hommes et de femmes qui ont des devoirs et des droits. Hier, les Algériens ont enterré un innocent, pour la simple raison que sa culpabilité n'a pas été prouvée par un tribunal. Il est mort parce qu'on a estimé qu'il méritait d'aller en prison, sans avoir la conviction qu'il est coupable. Cela pour dire que l'indépendance de la justice et celle des hommes et des femmes qui la rendent passe prioritairement par l'humanisation de l'institution judiciaire.