Dix-huit mois sans procès et leur détention provisoire risque de durer encore. Les détenus de Ghardaïa vivent un calvaire carcéral interminable. Kamel-Eddine Fekhar et ses amis — dont plusieurs membres de mêmes familles — arrêtés en juillet 2015, au lendemain des événements de Guerrara, sont incarcérés à la prison d'El Ménéa et il pèse sur eux de lourds chefs d'inculpation. Le juge n'a pas encore bouclé l'instruction. Une procédure qui traîne en longueur, contre laquelle les détenus s'élèvent, réclamant la liberté provisoire. Mais surtout la tenue d'un procès équitable dans les plus brefs délais. Désigné d'abord par le pouvoir politique avant même la justice comme «chef de la fitna (discorde)», Kamel-Eddine Fekhar a entamé une grève de la faim — la cinquième depuis son incarcération — pour protester contre les conditions de détention, surtout que son état de santé s'est dégradé. Son avocat, Salah Dabouz, qui a lui rendu visite samedi dernier, a justement alerté sur le risque d'une fin tragique du détenu, d'autant qu'il est atteint d'une hépatite C qu'il avait contractée avant son arrestation. «Fekhar m'a indiqué qu'il continue sa grève de la faim même si ça va lui coûter la vie», a prévenu maître Dabouz. «Fekhar est convaincu qu'il est déjà condamné pour être donné en exemple et que l'on cherche juste un habillage judiciaire légal pour une condamnation prise ailleurs», rapporte encore l'avocat. Ce dernier assure également que les détenus dénoncent «des conditions carcérales dégradées et le manque de soins nécessaires pour certains détenus qui souffrent de troubles visuels». «Les détenus n'en peuvent plus des conditions de vie en prison», ajoute l'avocat, lui-même placé sous contrôle judiciaire. Plusieurs ONG nationales et internationales ont condamné «des arrestations arbitraires de citoyens au prétexte d'avoir fomenté des troubles, alors qu'ils étaient interpellés pour avoir exprimé des opinions politiques» sur les événements qui ont secoué la vallée du M'zab entre 2013 et 2014. Le cas de Kamel-Eddine Fekhar n'est pas sans rappeler celui, tragique, de Mohamed Tamalt, mort en détention. Déjà emprisonné avec d'autres militants de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme en 2004, le docteur Fekhar a donné des sueurs froides aux autorités politiques nationales et locales. La radicalisation de son action politique ces dernières années a fait de lui un «homme à abattre». Ou du moins un bouc émissaire des troubles aux tenants et aboutissants qui demeurent obscurs. Il faut dire que la région subit une descente punitive en règle. Après les vagues de violences et leurs lots de victimes, de traumatismes et de dégâts matériels, est venu le temps de celles des arrestations. Certaines personnes ont même été arrêtées dans des mosquées, loin du théâtre des événements. Ce fut le cas de Kamel-Eddine Fekhar, interpellé à Ghardaïa au lendemain des événements qui ont ensanglanté la localité de Guerrara. Le harcèlement judiciaire et policier s'est poursuivi pour cibler des militants de partis politiques. Après Nasreddine Hadjadj, secrétaire national chargé de l'environnement du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), en détention provisoire depuis une année et demi, des militants du Front des forces socialistes (FFS) se trouvent à leur tour dans le viseur de la justice. Cinq militants, dont un membre de la direction nationale du parti, Hamou Mesbah, ont été placés sous contrôle judiciaire le 21 décembre 2016 pour «tentative de renverser le régime», «incitation à prendre les armes» et «incitation à la violence et à la haine». Les associations des droits de l'homme et des partis politiques voient derrières ces arrestations et poursuites judiciaires «une atteinte aux droits de la personne humaine et aux libertés d'opinion». D'autres n'excluent pas une volonté manifeste de «punir» une région qui, depuis quelques années, échappe au contrôle politique du pouvoir et s'émancipe de sa tutelle. La présence de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme et la forte implantation de partis politiques d'opposition dans la vallée du M'zab sont mal perçues par le pouvoir central. En 2008, lors des événements de Berriane, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Noureddine Zerhouni, l'avait clairement fait savoir.