Akram El Kebir vient de sortir aux éditions Apic un nouveau roman intitulé «Les fleuves impassibles». Il a pour personnage principal un jeune Oranais qui pense à la harga, mais pas de n'importe quel moyen. Il s'agit pour lui de prendre en otage un bateau-taxi et le détourner de sa trajectoire initiale, pour se rendre en Europe. «J'habite à Oran . En été cela fait quelques années déjà qu'il existe un bateau-taxi qui relie la ville d'Oran à Aïn Turk. De là, j'ai trouvé ça assez amusant de raconter cette histoire. Certes, la thématique est grave parce que ça parle de harraga mais en même temps, le ton n'y est pas. Le sujet est traité d'une manière légère sur le ton de la comédie et c'est voulu. Ça parle de harraga, des gens qui sont tentés par la harga. Des gens qui habitent dans les bas fonds d'Oran. Dans le vieil Oran, dans des maisons délabrées comme beaucoup de jeunes de ces quartiers-là. Ils en ont marre, mais ils n'osent jamais tenter vraiment le coup, car ils voient ce qui se passe. Génération perdue La plupart des harraga finissent le plus souvent par mourir en mer. Puis, quand ce bateau-taxi arrive, l'idée va germer. Pourquoi, ne pas le détourner y compris avec ses passagers Il y a eu ainsi cette matière à écrire avec l'idée de faire confronter aussi des visions de choses différentes, de sociétés différentes. Ecrit cet été, l'auteur précise que ce livre est né bien avant le Hirak.. « L'histoire se passe durant l'été 2018. L'été qui précède le 22 février. Ces jeunes des quartiers populaires vivent quelque part en marge de la société. J'ai trouvé intéressant de montrer sur ce bateau plein d'Algériens de tous bords et ainsi faire confronter leurs visions du monde. Ces jeunes marginaux ne connaissent pas vraiment les autres. Il y a comme une barrière entre eux et le reste de la société. Et là, il y a eu l'occasion de rencontrer son semblable. Parfois des malentendus se lèvent, des débats contradictoires se font. Il me paraissait intéressant d'établir ce microcosme de la société oranaise et algérienne lors de ce détournement de bateau.» La société décryptée Aussi, sur fond de décryptage social, et d'humour grinçant, notre protagoniste va être attiré par une certaine Naffisa. Histoire de pimenter son roman, Akram El Kebir ajoute une note de romantisme affichée dans ce monde de brutes, une façon de distraire ses lecteurs, dédramatiser la gravité des situations, tout en donnant à réfléchir encore plus. Naffisa est une des passagères de ce bateau dont notre jeune présupposé à la harga va s'amouracher. Deux parties segmentent en effet ce livre. La première évoque cette jeunesse désemparée et ses tentatives vaines de partir. Dans la seconde partie nous sommes dans l'action. «Nafissa est le personnage le plus emblématique de celles et ceux qui se trouvaient dans le bateau-taxi. Elle sera amenée à débattre avec les passagers. On y trouve des libertaires et d'autres qui sont carrément salafistes.» Aussi, cette femme sera en partie l'élément déclencheur des débats au sein de ce bateau. Un catalyseur par qui l'histoire se tisse et se noue, un peu comme dans le précédent roman d' Akram El Kebir, à savoir «Au secours Morphée !» Le rôle de la femme En effet, là encore nous faisons connaissance avec un jeune bibliothécaire plein de rêves qui rencontre une femme qui va quasiment diriger sa vie. Cette femme va le mener en bateau durant toute sa trajectoire au sein de leur couple. Le rôle de la femme devient dans les deux cas très important. Car les langues se délient grâce aux femmes. «Ça été le cas dans ce livre et c'est le cas dans mon nouveau livre, absolument», affirme le jeune auteur, journaliste aussi de son état. Deux romans prenants, signe Akram El Kebir qui arrive ainsi à régaler ses lecteurs en leur donnant à lire des histoires authentiques, racontées d'une façon simple et très imagée, à tel point que nous immergeons complètement dans son univers. On arrive réellement à suivre pas à pas ses personnages. L'auteur parvient à leur donner vie et épaisseur comme un réalisateur qui donne vie à ses personnages au cinéma. Ses personnages sont incarnés car leur écriture est mise en relief grâce à l'élément descriptif qui est bien souligné dans un style limpide. Le décor bien planté. L'imagination peut fonctionner ! A propos de son amour de la littérature, Akram El Kebir nous avoue être venu à l'écriture à l'école en étant séduit par les auteurs qu'il lisait. «Je n'ai pas été séduit par les mots, mais cette séduction émanait de cette volonté de créer, de raconter une histoire, c'est-à-dire de tirer du néant tout un univers. C'est cela qui me séduisait avant la beauté des mots, le plaisir de faire rencontrer des mots. L'envie d'imaginer une histoire était puissante», conclut-il lors de sa vente –dédicace au sein du Sila.