Poursuivant la mission dont il a été investi par le président tunisien Kaïs Saïed, le chef du gouvernement désigné par le parti islamiste Ennahdha, Habib Jemli, a reçu tour à tour, hier, le président de l'Instance nationale de la lutte contre la corruption, Chawki Tabib, le doyen des ingénieurs, Oussama Kheriji, le président du Parti socialiste destourien, Chokri Balti, le président de l'Organisme CONECT, Tarak Cherif ainsi que le président du parti La voix des Agriculteurs, Faycel Tebini. Toutes ces entrevues font partie des concertations relatives à la formation du prochain gouvernement, selon Mosaïque FM. Mais Rached Ghannouchi, fraîchement élu à la présidence de l'Assemblée des représentants du peuple ( ARP ), a pris la mesure des difficultés éprouvées par Habib Jemli et n'a pas hésité à relancer discrètement Nabil Karoui, chef de file de Qalb Tounes, comptant sur les 38 députés de celui-ci pour faire avaler la pilule le moment venu à l'ARP. Après avoir bénéficié d'un coup de pouce de ce nouveau venu dans le paysage politique tunisien, ce qui lui a permis de prendre la direction de l'ARP, Ghannouchi entend faire coup double en concluant un pacte avec Nabil Karoui, mais à ses conditions. Après avoir juré à qui voulait l'entendre qu'il ne s'allierait jamais avec le parti des affaires « douteuses », Ghannouchi semble avoir pris la mesure des difficultés et tente de sceller un new deal, tout en refusant catégoriquement les exigences de Karoui en ce qui concerne certains ministères de souveraineté. Pour cela, il n'a pas eu besoin de jeûner trois jours durant, la politique ayant ses raisons propres, si l'on peut dire. Sans aller jusqu'à afficher de manière ostentatoire ses appels du pied à Qalb Tounes, Ghannouchi qui sait que le temps est compté et qu'il ne peut, en aucun cas, mécontenter sa base, choisit de jouer la seule carte éventuellement gagnante, à savoir un accord tacite avec Nabil Karoui, invité à garder « secrètes » les tractations. Ce dernier est, lui aussi, tributaire de ses premières déclarations, au lendemain de l'annonce des résultats des législatives, même si, depuis, il a fait son mea culpa, en expliquant que le soutien apporté à Rached Ghannouchi pour le perchoir de l'ARP a été fait « la mort dans l'âme » et dans l'unique but de « protéger la Tunisie ». Voire. Les évènements ont démontré que le souci comme les intentions sont tout autres. Cependant, la partie est loin d'être gagnée car Ghannouchi a pris soin de limiter la marge de manœuvre de son partenaire désenchanté en lui imposant de soumettre une liste pour des portefeuilles ministériels confiés à des technocrates, éminemment « indépendants » de Qalb Tounes et de son président. Une condition qui a eu l'effet d'une douche froide et qui a poussé Nabil Karoui à lui opposer une fin de non-recevoir. Pendant ce temps, Moncef Marzouki annonce, dans l'indifférence générale, son retrait définitif de la vie politique tandis que le secrétaire général de la puissante Union générale des travailleurs tunisiens ( UGTT ), Nourredine Taboubi, s'en prend violemment à Ennahdha qu'il accuse, depuis Hammamet, d'avoir « vendu le pays à Erdogan », se référant au contrat de gestion de l'aéroport d'Enfidha confié à la société turque TAV. Dans la même verve, la charge du conseiller politique de Youssef Chahed, Lazher Akremi, hier, sur la chaîne Attassia, contre la famille Caïd Essebsi rendue responsable de la perte de l'élection présidentielle par Youssef Chahed parle d'une guerre sans merci à cause d'un refus de débloquer 24 milliards de la banque centrale, dont 8 milliards de pots-de-vin au profit de la famille du président défunt. Malgré l'intervention de Béji Caïd Essebsi auprès de Chahed, celui-ci aurait refusé de mandater cette somme faramineuse, ouvrant la voie à des relations tendues entre la Kasbah et Carthage. Réagissant à ces révélations, Hafedh Caïd Essebsi, toujours « réfugié » en France, a annoncé qu'il va engager une plainte pour diffamation contre le conseiller de Chahed.