La Guinée-Bissau a voté dimanche pour élire le nouveau président et tourner la page de l'instabilité chronique dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, lors d'un scrutin terni par des échauffourées et des accusations de fraude lancées par le camp du président sortant. Les opérations de vote se sont, comme prévu, terminées à 17h00 dans plusieurs bureaux de la capitale, où le dépouillement a immédiatement commencé. Les premières tendances sont attendues en début de semaine. La date du 29 décembre a été retenue pour un second tour hautement probable.»La participation a été importante mais nous ne pouvons pas donner de chiffre pour le moment», a déclaré la porte-parole de la Commission nationale électorale (CNE), Felisberta Vaz Moura. Des échauffourées entre militants de différents camps, suivies de l'intervention de la police, ont eu lieu, notamment, à Bissora (Nord), Canchungo (Nord-Ouest) et Empada (Sud-Ouest), ainsi que dans la périphérie de Bissau, selon des sources sécuritaires. Avant même la fermeture des bureaux, un proche du président sortant, José Mario Vaz, qui brigue un second mandat en tant qu'indépendant, a accusé ses adversaires du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), formation historique qui domine le Parlement et le gouvernement, de s'être livré à des «fraudes».»Il y a eu bourrage d'urnes dans des bureaux des régions de Bafata (Est), Canchungo et Bisorra, avec la complicité du PAIGC et de la Commission régionale des élections (CRE)», a affirmé à la presse le directeur de campagne de M. Vaz, Botche Candé. à Bissora, un responsable des jeunes du PAIGC a été, selon lui, «surpris avec une enveloppe pleine de bulletins» et «en train de distribuer du riz et de l'argent pour acheter des consciences». «Le président Vaz n'acceptera pas des résultats entachés» d'irrégularités, a ajouté M. Candé, alors que M. Vaz avait assuré, en déposant son bulletin de vote, qu'il respecterait «la volonté du peuple». Mis en cause, le PAIGC n'avait pas encore réagi à ces accusations en début de soirée.»S'il y a un deuxième tour, je le respecterai», avait déclaré dans la matinée le candidat du PAIGC et ex-Premier ministre, Domingos Simoes Pereira, l'un des favoris. Si la campagne s'est déroulée pratiquement sans heurts, la crainte de lendemains difficiles prévalait au moment où votaient les quelque 700.000 électeurs pour départager les 12 candidats - tous des hommes — dans un pays qui a connu quatre coups d'état (le dernier en 2012) et de nombreuses tentatives depuis son indépendance, en 1974.La Guinée-Bissau a vécu ces quatre dernières années au rythme des querelles entre le président Vaz et le PAIGC. Vaz, élu en 2014 sous l'étiquette du PAIGC avant d'en être exclu, avait provoqué l'étincelle en limogeant en août 2015 son Premier ministre, Domingos Simoes Pereira, chef de cette même formation. Sous sa présidence, les chefs de gouvernement se sont succédé, suscitant l'inquiétude des pays d'Afrique de l'Ouest, qui ont multiplié les efforts de médiation. Dans le même temps, les écoles sont restées fermées pendant des mois, en raison de grèves à répétition des enseignants réclamant le paiement d'importants arriérés de salaires. Près de 70% des quelque 1,8 million de Bissau-Guinéens vivent avec moins de 2 dollars par jour. Les favoris de l'élection sont issus du système et ont été des acteurs des crises de ces dernières années, à commencer par le président Vaz, et son grand rival, M. Pereira. Il y a aussi Umaro Sissoco Embalo, à la tête d'une dissidence du PAIGC, ou encore Nuno Nabiam, battu au second tour, en 2014. Chassé par les militaires entre les deux tours alors qu'il était favori de l'élection de 2012, l'ex-Premier ministre, Carlos Gomes Junior, a à nouveau tenté sa chance. La présence de militaires en armes devant les grilles de la présidence et de véhicules de l'Ecomib, la force de la Communauté économique des états de l'Ouest (Cédéao) déployée dans le pays depuis le coup d'état de 2012, rappelle que l'histoire de la Guinée-Bissau est jalonnée de putschs et d'assassinats politiques. Mais l'armée n'est pas intervenue au cours des cinq dernières années et son chef, le général Biaguê Na Ntam, a assuré qu'elle ne pensait «plus à fomenter des coups d'état».