Les écrivains entamant leur carrière littéraire se retrouvent soudain pris en tenaille, entre le rêve d'être publiés et l'angoisse de l'arnaque éditoriale. Dur métier que celui d'écrivain. Il est plus dur encore pour les néophytes. Les nouveaux débarqués, connaissent peu ou prou les surprises qui les attendent. Ecrire, ça soulage. Se voir publier, c'est bien ; mais être lu, c'est encore mieux. C'est un véritable triptyque. Un engrenage. Impossible d'omettre un élément sans que les deux autres ne soient affectés. Admettre cette équation conduit automatiquement, et à juste titre, à reconnaître l'étroite relation existant entre l'écrivain et son éditeur. Néanmoins, entre ces deux acteurs, ce n'est pas toujours la lune de miel. Au contraire, les nouveaux écrivains sont souvent sacrifiés sur l'autel de la cupidité de certains éditeurs sans scrupules. Leur relation ressemble de près à celle du loup et de l'agneau. Au tout début, l'auteur doit trimballer son manuscrit à la recherche d'un éditeur. Et ce n'est pas toujours facile à trouver. Il faut faire le tour des éditeurs de la place. On retient le manuscrit, accouché au forceps, on jette un coup d'oeil, on vous toise. Lorsque le manuscrit est retenu, on vous demande d'attendre. Combien de temps? Inutile de demander, parfois ça prend plus de temps qu'on le pense. Un mois, deux mois, une année? Allez savoir. Ainsi donc commence la vraie aventure. Mesdames, messieurs, futures Simone de Beauvoir, futurs Voltaire, bienvenue à bord. Que la mésaventure commence! Est-ce une évidence de se voir arnaquer avant de monter au Panthéon? Ça peut-être une possibilité mais ce n'est pas une règle, à moins que vous ne soyez candide. Donc, une fois le manuscrit déposé, vous devrez attendre. Ceux qui veulent avoir des nouvelles de leurs produits sont susceptibles d'être choqués. A la recherche du manuscrit perdu «Perdu. Nous avons perdu votre manuscrit, si vous pouvez nous en ramener un autre» nous raconte un jeune écrivain, qui a eu la désagréable surprise de savoir qu'on a perdu son manuscrit. «J'ai attendu cinq mois, on ne m'a même pas rappelé et en allant demander des explications, la secrétaire de l'éditeur me reçoit froidement avant de me signifier, en toute tranquillité et la froideur d'un maquignon, qu'on a perdu mon manuscrit. J'ai trimé pendant des années. J'ai veillé des nuits pour atteindre les 240 pages. Vous vous rendez compte un peu? 240 pages foutues en l'air comme ça, tout bêtement!» ajoute-t-il tout en jurant par tous les noms de ne plus tenter le coup. Ainsi, le rêve se transforme en cauchemar. Cependant, des cas pareils n'arrivent pas toujours. Car, des erreurs de ce calibre peuvent être considérées comme le huitième péché capital. Toutefois, les auteurs qui arrivent à dépasser cette étape, ils sont nombreux d'ailleurs, se retrouvent confrontés à un autre casse-tête, l'arnaque pure et dure. En effet, nombreux sont ces nouveaux écrivains qui, après la publication de leurs oeuvres, se rendent compte qu'ils ont été roulés. Et le paysage éditorial en Algérie pullule de ce genre de mésaventure. «J'ai frappé à la porte de plusieurs maisons d'éditions et aucune n'a daigné me publier ni même me lire. Ce n'est pas pour autant que je baisse les bras. J'ai donc continué à courir après les éditeurs. Et comme tout chercheur assidu, la chance m'a souri, j'ai fini par tomber sur un éditeur. Il a accepté de me publier», nous raconte un écrivain préférant garder l'anonymat car, son affaire est toujours dans le flou. «Je lui ai donc remis mon manuscrit, il m'a promis que mon roman sera publié avant le Salon du livre (tenu le 26 septembre 2005, à Alger, Ndlr). C'était ainsi, seulement mon livre n'était pas exposé à ce salon.» Certes, le roman de notre interlocuteur a vu le jour, mais après bien des péripéties. Laissons-le poursuivre son aventure. «J'ai dû lui (l'éditeur) verser la somme de 80.000 DA, qu'il m'avait promis de me rembourser plus tard. A la six-quatre-deux, on a imprimé cinq-cents exemplaires, comme un premier tirage.» Le livre en question est actuellement disponible dans les librairies. Mais la qualité laisse à désirer. Le papier est de mauvais qualité. Des chapitres sont inversés. A le feuilleter, le texte est «surchargé» de fautes d'orthographe. Les pages sont foliotées en faisant fi de toutes les normes universellement admises. En somme, le texte, en dépit de sa force, a vite succombé sous le couperet de la piètre pagination. Cela lui a fait perdre beaucoup de sa saveur. «Mon rêve est vite tombé à l'eau» nous révéla l'auteur. «En confiant le manuscrit à mon éditeur, l'essentiel, pour moi, c'était de voir mon premier roman édité. Mon plus grand plaisir, c'est d'entendre parler de moi, de me lire. Le livre a certes eu du succès, mais je me sens frustré.» Frustré? «Ma candeur, ma naïveté mais aussi la foi que j'ai en la littérature m'ont fait montrer un monde extraordinaire. En fin de compte, ce ne sont que des illusions. Car je ne savais pas que du côté opposé de la candeur de l'écrivain, se trouve la cupidité de l'éditeur.» Les malheurs de notre interlocuteur ne s'arrêtent pas à ce point. Son éditeur a enfoncé le bouchon allant jusqu'à faire un nouveau tirage sans pour autant aviser l'auteur ni même avoir son aval. Pourtant les lois régissant le monde de l'édition son claires: l'éditeur ne doit procéder à l'impression qu'après que l'auteur eut signé un bon de tirage en bonne et due forme. Comment a-t-il découvert ce nouveau traquenard? «En faisant le tour des libraires, je me suis rendu compte que le premier tirage, soit 500 exemplaires, est déjà écoulé depuis longtemps. Logiquement, mon éditeur a frauduleusement fait un nouveau tirage.» «Les illusions perdues» Le cas sus-nommé ressemble de près à la publication à compte d'auteur. Seulement, l'éditeur, prétextant la crise financière dans laquelle se retrouve sa boîte, lui a fait le serment de le rembourser dès la publication du roman. Cependant, jusqu'à présent, rien de cela n'a été fait. Justement, dans cette optique, les lois sont claires: la publication à compte d'éditeur, l'auteur cède tout ou partie de ses droits d'auteur (le contrat peut exclure le droit d'adaptation théâtrale, audiovisuelle - par exemple si un film est réalisé à partir du livre - ou autre... «En contrepartie, il ne débourse rien, ni frais de composition, d'impression, de distribution, de publicité. De surcroît, il bénéficie d'une rémunération sous forme de «droits d'auteur», proportionnelle au nombre de livres vendus et versée en pourcentage du prix public de vente du livre. Les droits d'auteur sont acquittés périodiquement à partir d'un relevé de compte établi par l'éditeur.» Ce qui est à déplorer aujourd'hui en Algérie, comme partout dans le monde, c'est le manque d'information relatif au domaine de l'édition. Les écrivains qui viennent à peine d'entamer leur carrière littéraire, se retrouvent soudain pris en tenaille : entre le désir oppressant de réaliser leur rêve-celui d'être publié-et l'impératif catégorique de passer par les canaux éditoriaux. Et c'est à ce niveau que tous les rêves et les fantasmes de l'écrivain s'évanouissent. Des expériences pareilles, pratiquement tous les jeunes auteurs les ont vécues. Certains ont vite succombé et renoncé de ce fait au rêve d'être édité, choisissant ainsi d'écrire et de laisser leur manuscrit somnoler dans les tiroirs en attendant des jours meilleurs. D'autres, plus têtus, plus intrépides que jamais, continuent l'aventure. Etant donné que les erreurs du passé servent de leçons pour l'avenir, ils prennent le soin de choisir le bon éditeur. D'autres encore vont voir ailleurs. Cet «ailleurs» se cache dans leur poche. Ils optent ainsi pour l'auto-édition assumant donc tous les frais de la publication de leurs oeuvres. Ainsi, l'auteur paie-t-il l'éditeur pour la fabrication, l'impression et l'édition de son livre. Toutefois, cette option est difficile à envisager. D'autant plus que l'auto-édition est très coûteuse, notamment pour les écrivains sans talent, dont les ventes ne dépassant pas le millier d'exemplaires. Néanmoins, la recette des ventes n'est pas uniquement régie par le seul talent de l'auteur, mais aussi des efforts déployés dans la promotion du livre. Et ce volet, dont l'importance est capitale, est quasiment mis de côté. A part les séances de ventes-dédicaces, suivies parfois de conférence débat, à la sortie du livre, on entend plus parler de l'oeuvre. Par ailleurs, loin de l'arnaque que subissent les auteurs, c'est l'Office national des droits d'auteur (ONDA), donc l'Etat, qui est touché par ce phénomène. Cette institution a, à maintes reprises, baissé les bras, signe d'incapacité de venir à bout de la contrefaçon. Ce, notamment lorsqu'on apprend que cette institution dispose de 44 agents seulement pour l'ensemble des wilayas du pays. En outre, l'Office national des droits d'auteurs et droits voisins aujourd'hui protège à peine quelque 8000 auteurs, toutes disciplines confondues. Et les écrivains ne forment qu'une infime partie de cet ensemble. Cette institution ressemble à cette veuve désarmée qui tente vainement de défendre son enfant. Ainsi, les chiens aboient, la caravane passe. Les nouveaux auteurs crient à l'arnaque mais leurs cris sont vite réprimés. Et faute de trouver une oreille pour les écouter, on a abouti à ce résultat, presque logique: en 2003, le paysage éditorial national n'a enregistré que 400 ouvrages parus (hors l'Année de l'Algérie en France). L'heure n'est-elle pas venue pour faire le point de la situation?