Autour du livre «Enjamber la flaque où se reflète l'enfer», l'IFA a abrité, lundi soir, une rencontre des plus intéressantes. Celle -ci a regroupé l'écrivaine et poétesse Souad Labbize, son éditrice algérienne Selma Hellal de Barzakh ainsi que son autre éditrice française Oristelle Bonis, la fondatrice de la maison d'édition indépendante, spécialisée dans les ouvrages féministes, Les éditions iXe. «L'idée de départ en publiant nos livres était d'arracher tout ça de l'oubli, de faire qu'ils soient archivés dans les bibliothèques, qu'ils soient consultables, y compris par les générations futures. «Un acte militant...» Le but aussi est d'essayer de parler à la fois des réalités du féminisme, en France actuelle, mais aussi d'essayer de voir, le plus possible, ce qui se passe ailleurs. Et à cet égard, on essaye à chaque fois de trouver des interlocutrices qui parlent des réalités qu'elles ont vécu «ailleurs», en sachant qu'elles vont toutes parler de conditions de domination, d'oppression ou de libération, qu'elles ont vécues, parce qu'elles les ont traversées. Ce qui est le cas bien sur du texte de Souad et de quelques livres que j'ai ramenés et que je compte mettre à la disposition de bibliothèques...», a fait remarquer Oristelle Bonis. à noter que ce livre est publié en langue française et en arabe. «C'est un acte militant», notera pour sa part, Selma Hellal, qui, en modérant le débat, a présenté en préambule ce roman autobiographique, celui d'une auteur de 51 ans qui revient sur ses séquelles d'enfance, alors qu'à neuf ans elle se fait violer par un homme dans la rue, mais aussi sur les autres violences qui vont suivre, dont elle fera l'objet, elle reviendra dès lors surtout sur son incapacité de mettre à proprement parler des mots sur la douleur et la souffrance éprouvées étant enfant, d'où sans doute l'envie aujourd'hui d'écrire ce livre, non pas pour aller mieux, ou encore pour témoigner, mais pour retrouver ces mots qu'elle n'aura jamais pu prononcer, en précisant ne pas du tout se positionner dans la posture d'une «victime». Une publication qui s'est imposée comme «une évidence» absolue chez l'éditrice Selma Hellal, affirmant avoir vu dans ce roman le parfait mariage entre «le politique et le poétique». Un roman qui «dit la douleur de la femme adulte qui va tenter d'écrire à l'âge de 50 ans, sur l'offense subie...». Et d'ajouter: «Un récit qui dit le rôle terrible de la mère qui va refuser d'entendre la confidence de l'enfant. Le rôle de la mère, du père, mais aussi des adultes en général dans leur incapacité à aider à réparer cette blessure... Un récit incandescent voulu par l'auteure, court, intense, dense, qui est écrit sur la difficulté de dire, parce que c'est un texte éminemment littéraire.» Expliquant un peu la genèse de ce livre, Souad Labbize relèvera que ce livre est «celui de l'absence des mots». Court, précis et sans pathos Et de poursuivre: «Je suis attirée par la poésie, l'écriture poétique. Je suis quelqu'un qui supprime énormément quand j'écris, qui se lasse des longs discours et textes longs. J'ai de plus en plus du mal à lire des textes narratifs longs. J'ai écrit avec l'idée que ce livre se doit d'être précis, clair et concis. L'esthétique étant importante, il faut que ça touche quelque part, sans tomber dans la mièvrerie ou dans le pathos». Et de s'interroger: «Comment écrire dès lors sur des mots qu'on n'a pas? L'entreprise était de trouver des images, celles que je ressens en pensant à ces faits, là, à ces événements qui sont un premier viol suivi d'autres tentatives de viols, d'attouchements, etc. Il s'agissait de trouver le moyen de revenir vers les caves de l'enfance, autrement, aller à la pêche des mots, de cette parole de cette fille de neuf ans qui a été empêchée de parler par une mère qui faisait la sieste...» L'impératif d'écrire le féminisme en arabe Et de confier: «Le ‘'Je'' d'une femme de 51 ans va essayer de retrouver les paroles perdues parce qu'elles n'ont pas été prononcées au moment où elles auraient dû être prononcées puisque la mère va interrompre le récit de l'enfant qui a juste le temps de dire «homme» et «culotte»... Ce texte va ainsi à la recherche de ces paroles. C'est dans ce sens où je dis que ce n'est pas vraiment un témoignage. Je n'ai pas écrit pour témoigner, mais pour essayer de prier ces mots de revenir. Les faire sortir de la cave où ils s'étaient enfermés et leur dire: «Je suis assez grande maintenant pour les dire.» Bien sûr, ces mots je ne les ai pas retrouvés. Le texte essaye de les retrouver. C'est un travail littéraire...». Evoquant ainsi son style, Souad Labbize souligne avoir choisi des mots «les plus doux, forts et puissants, mais aussi des mots qui allaient prendre soin du lecteur.». Et de souligner: «Je ne voulais pas violenter ce dernier. Je n'ai pas à violenter le lecteur comme je l'ai été moi, par contre, je dis ma souffrance sans bousculer. L'écrire a été vraiment éprouvant... Çar j'étais avec la petite fille qui n'arrivait pas à livrer les paroles que je cherchais... ça me mettait dans une détresse terrifiante...». Pour l'auteur, écrire ce texte avait aussi un rapport entre le lien de la mère et son enfant. «Qu'est-ce qu'il se tisse entre une mère et sa fille quand il s'agit de cette intimité-là?», se demandera t-elle. Et d'expliquer que ce roman pourrait peut-être faire à autrui «l'économie de dire la souffrance». Enfin, elle dira que malgré tout elle demeure «une femme debout» qui ne courbe pas l'échine, regrettant par ailleurs ne pas savoir écrire en arabe dialectal pour s'adresser à davantage de monde dans notre société algérienne, voire dans d'autres langues pour toucher plus de lectorats et de personnes, notamment au Maghreb et Moyen-Orient. «Il est très important que nous parlions de féminisme en arabe pour que cela soit compris par la majorité des lecteurs afin que cette parole puisse circuler...», a t-elle conclu. Il est à rappeler que ce roman coûte 200 DA.