L'Expression: Quelle évaluation faites-vous de la situation des entreprises en particulier et de l'économie en général après plus de 15 jours de confinement sanitaire? Sami Agli: La situation de notre économie est préoccupante. Les entreprises qui sortent à peine d'une année 2019 difficile doivent faire face à l'épidémie de Covid-19. Il est clair que nous sommes face à une crise inédite. Comme partout dans le monde, l'épidémie a déjà un réel impact sur les entreprises et le confinement sanitaire, bien que nécessaire, il ne fera que l'accentuer. Le passage à l'activité partielle ou l'arrêt temporaire, la réduction des heures de travail en plus du chômage technique depuis plus de deux semaines au niveau de certaines entreprises auront de lourdes conséquences. Plusieurs secteurs comme l'hôtellerie, la restauration, les services ou encore l'événementiel étaient les premiers à avoir subi l'impact de la crise sanitaire. On le sait, la crise n'épargnera, à moyen terme, aucun secteur d'activité. Au sein du Forum des chefs d'entreprise, nous avons installé un comité de veille dès le début de l'épidémie et nous suivons de très près ses répercussions sur nos entreprises. Nous échangeons également à ce sujet avec les autres organisations patronales et le partenaire social, l'Ugta. Une crise économique est déjà là, une autre crise sociale se profile à l'horizon suite à la réduction de l'activité économique sous le double effet du coronavirus et du choc pétrolier. Comment redonner du souffle aux acteurs économiques en difficulté, dont la majorité dépend de la commande publique? Pour le moment, notre grande priorité est la lutte contre cette pandémie, l'organisation de la mobilisation de nos membres avec un but unique, la préservation des vies humaines. Toutefois et comme j'ai eu à le dire souvent, le Covid-19 qui fait, malheureusement, des dégâts humains, fait également des dégâts économiques. Des répercussions sociales sont effectivement à craindre. En pareille situation, la concertation autour de mécanismes d'urgence à mettre en oeuvre pour sauver les entreprises est une question stratégique pour l'avenir de l'économie algérienne. Nous ne le dirons jamais assez. Ces questions ont été, d'ailleurs, au centre des échanges que nous avons eus cette semaine entre les organisations patronales et l'Ugta. Pour rappel, nous avons, à cette occasion, rendu publique une déclaration commune dans laquelle nous nous sommes exprimés sur la conjoncture et dans laquelle nous avons réaffirmé notre engagement et notre mobilisation auprès des pouvoirs publics pour dépasser la situation sanitaire et économique difficile que traverse le pays suite à la pandémie de Covid-19. Travailleurs et employeurs, tous ensemble, sommes engagés sans réserve pour une contribution à l'action des pouvoirs publics ainsi qu'avec le peuple à travers des actions de solidarité en direction des populations et de soutien aux structures de santé et personnels soignants. Nous demeurons, néanmoins, très préoccupés, comme je vous le disais, par la situation des entreprises et donc de l'emploi. Je vous annonce que le Forum, fidèle à sa vocation de force de proposition a fait durant les six derniers mois plusieurs contributions et nous sommes en phase de finaliser une autre importante dans laquelle nous formulerons des propositions concrètes à mettre en oeuvre rapidement en vue de soutenir les entreprises. Notre pays a besoin, plus que jamais, de ses entreprises. Il est aujourd'hui d'un intérêt national de maintenir l'activité économique et préserver l'emploi, principales démarches au renforcement de l'action au côté des pouvoirs publics visant à faire face à l'épidémie de Covid-19. Après le Btph, d'autres secteurs comme celui des services, de l'industrie, le tourisme et l'informel, enregistrent à leur tour des pertes d'emplois, peut-on connaître le nombre approximatif de ces énormes pertes? Effectivement, à l'instar du reste du monde cette crise frappe de plein fouet notre économie. Nous n'avons pas de statistiques à ce sujet, je vous dis juste que la crise est réelle et elle est transversale. Tous les secteurs seront, à un moment ou un autre, touchés car, fonctionnement économique oblige, les entreprises fonctionnent dans des chaînes clients-fournisseurs les unes imbriquées aux autres, plusieurs d'entre-elles vont connaître une baisse drastique de leur production qui conduira, pour la plupart, à leur arrêt. à cela s'ajoute un autre problème de taille lié au blocage de l'approvisionnement en équipements, pièces de rechange et matières premières. N'oublions pas que nous sommes une économie très dépendante de l'importation et par conséquent vulnérable. Quelle est l'initiative prise par le FCE pour participer à l'élan de solidarité nationale et venir en aide aux populations confinées? Pour le Forum des chefs d'entreprise, la lutte contre la propagation de l'épidémie du coronavirus est l'affaire de tous. C'est pour cela que dès le début nous avons lancé une large campagne de mobilisation de nos délégations et de nos membres pour contribuer en force à l'élan de solidarité nationale aux côtés des pouvoirs publics, du personnel soignant et de la population, surtout les familles à faibles revenus. Des centaines d'entreprises à travers le pays ont répondu à l'appel et ont fait de nombreux dons de matériel médical de protection, de tenues de protection, gel hydro-alcoolique, produits de désinfection, denrées alimentaires destinées aux familles nécessiteuses. Certaines entreprises ont procédé à des opérations de désinfection de structures hospitalières de quartiers et des villes entières en plus de la fourniture de produits de désinfection aux autorités locales. Des hôtels ont été mis à la disposition des autorités et des services de santé pour les besoins du confinement. Ces actions de solidarité ont été effectuées dans plusieurs wilayas, je cite Tipasa, Oran, Biskra, Aïn Témouchent, Tlemcen, Béjaïa, Mostaganem, Boumerdès et bien d'autres. Le Forum des chefs d'entreprise a, et nous en sommes fiers, soutenu en partenariat avec le Cdta l'action qui a permis le développement du premier respirateur artificiel par Ryadh Brahimi, PCA de l'entreprise Gatech et président de la commission développement des relations entreprise-université. Pensez-vous que la situation induite par la crise sanitaire du coronavirus et l'effondrement des cours du pétrole sera fatale aux entreprises algériennes si rien ne sera fait par les pouvoirs publics? Comme je vous l'ai expliqué, les entreprises subissent les effets du Covid-19 aggravant ainsi la situation de crise qu'elles vivent depuis 2019. Aujourd'hui, de nombreuses entreprises sont dans l'obligation de procéder à la libération d'une partie de leurs effectifs et le risque de passer à des plans sociaux n'est pas à écarter d'où la nécessité de trouver rapidement des solutions avec l'implication des employeurs et des employés. Nous avons bien constaté cette semaine que le gouvernement a réagi à l'appel des entreprises en adoptant une série de mesures fiscales et financières. L'Abef a, par exemple, pris cinq mesures au profit des entreprises: le report et/ou le renouvellement des échéances des crédits arrivés au 31 mars 2020; la consolidation des impayés non traités à la date du 31 mars 2020; la prorogation des dates limites d'utilisation des crédits et des différés de paiement, l'annulation des pénalités de retard des créances exigibles à la date du 31 mars 2020 et le maintien et/ou le renouvellement des lignes de crédit d'exploitation. Des mesures salutaires pour les entreprises. Que propose le FCE pour sortir de cette situation très compliquée? Je le rappelle encore une fois que notre priorité absolue est la santé de notre population et nous sommes tous alignés sur ça. Nos soldats d'aujourd'hui en première ligne sont nos médecins et l'ensemble du corps médical et à leur côté les agents de la Protection civile et les autres corps de sécurité à qui nous rendons un vibrant hommage. Depuis septembre 2019, le Forum a transmis deux plaidoyers sur la situation des entreprises et récemment, nous avons adressé une note d'alerte au Premier ministre pour rappeler les préoccupations des entreprises déjà exprimées par les plaidoyers. Actuellement, nous finalisons également une nouvelle contribution de propositions. Nous réservons la primauté aux pouvoirs publics avant de les rendre publiques. Mais déjà et comme, je vous l'ai expliqué, nous avons formulé plusieurs mesures préventives qui sont de nature à atténuer la crise sur nos entreprises pour leur permettre de maintenir leur activité. Parmi les mesures proposées, je peux vous citer le report des paiements des échéances fiscales et sociales (Cnas, CNR, Casnos, Cacobat); le rééchelonnement des échéances des dettes bancaires pour les entreprises en situation de difficultés de trésorerie; l'accélération des procédures d'accès au crédit d'exploitation au profit des entreprises au cas par cas avec un taux d'intérêt «0» pour les entreprises affectées par l'épidémie de Covid-19; la reconduction de toutes les autorisations, homologation, agrément, concession, permis, licence qui viendraient à échéance avant leur exploitation,.... Enfin, quelles sont les principales réformes que le gouvernement doit engager pour restructurer l'économie nationale? Notre pays doit relever un défi majeur qui est celui de sortir de la dépendance des hydrocarbures en engageant une véritable politique de diversification de son économie. Nous ne le dirons jamais assez, cette nouvelle dynamique doit être portée par l'entreprise, principalement un secteur privé fort et l'émergence d'un secteur privé fort ne peut se réaliser sans un environnement des affaires adéquat qui libère les initiatives, et l'investissement. D'où la nécessité d'engager dans les plus brefs délais de véritables réformes structurelles. Nous n'avons plus de temps à perdre.