L'histoire qui lie les deux figures de proue de la chanson kabyle remonte à 1978. Idir était déjà un artiste connu et avait fait ses preuves alors que Matoub Lounès, encore très jeune, n'avait pas encore produit son premier album. Le Rebelle, arrivé en France, décide d'enregistrer son premier produit artistique après avoir animé, avec succès, une infinité de fêtes dans sa région natale où tout le monde avait été impressionné par sa voix, son talent, sa poésie et surtout par son courage précoce. Mais les fêtes dans les villages, c'était une chose et produire un premier album en était une autre. Ce n'était guère une sinécure, surtout quand on sait que durant cette période, la chanson kabyle était au panthéon avec des dizaines de grands artistes ayant fait leurs preuves et s'étant imposés sur la scène artistique kabyle. Arracher une place parmi tout ce beau monde n'était pas du tout facile. Mais Matoub a eu la chance de rencontrer Idir. Deux légendes vivantes Ce dernier accueillit à bras-le-corps le jeune Lounès. Non seulement il l'assista, tel qu'il se doit dans l'enregistrement de son premier album, mais il consentit même à lui prêter sa voix, en guise de duo dans l'une des premières chansons de Matoub, intitulée: «Ayizem.» Quelle chance avait donc Matoub Lounès de proposer son premier album à un public qu'il fallait conquérir, avec un duo en compagnie du chanteur kabyle le plus célèbre de l'époque! Une chance inouïe pour Matoub et un geste d'humilité unique de la part de Idir. Mais ce dernier n'avait consenti à faire ce geste qu'après avoir détecté en Matoub la future idole de la Kabylie. Le premier album de Matoub sortit donc en 1978 avec cette chanson en duo avec Idir. Le succès fut tout simplement tonitruant. Matoub Lounès sortit de l'anonymat du jour au lendemain. On écoutait son album partout et on en parlait également partout. à partir de cette première collaboration entre un artiste kabyle des plus célèbres et un jeune chanteur parti anonymement de son village vers Paris, naquit une longue histoire de partage passionné et ininterrompu entre les deux idoles. Matoub se fraya un chemin en solo bien sûr par la suite avec toutes les étapes ayant jalonné son parcours et que tout le monde connaît. Les deux hommes restèrent, en revanche, intimement liés d'amitié jusqu'à l'assassinat de Matoub Lounès le 25 juin 1998. 16 ans après ce premier album, un autre duo fit rencontrer de nouveau les deux hommes restés fidèles tout au long de cette période. Il s'agit de l'album de Matoub Lounès, intitulé «Kenza» en hommage à l'écrivain-poète assassiné Tahar Djaout, sorti en 1994. La chanson dans laquelle Idir prête de nouveau et volontiers sa voix à Matoub Lounès est «A mimezrane». Deux voix qui s'alternent avec harmonie Malgré la différence frappante dans leurs timbres, les deux voix de Lounès et de Idir s'alternent harmonieusement et sans fausse note. Tout le monde connaît le succès obtenu par cette chanson et cet album. Mais avant cela, en 1993, Matoub Lounès écrivit le texte de la chanson «Ad nughal» (nous reviendrons) interprétée par Idir. C'est Mohand-Améziane Bachtarzi, l'ancien secrétaire général de la Fondation Matoub, qui en fait la révélation: «En 2015, sur l'initiative de la famille de Lounès Matoub et de Mokrane Gacem, nous avons honoré Idir au domicile de son ami-frère Lounès Matoub au village Taourirt Moussa», raconte Mohand-Améziane Bachtarzi. Ce dernier précise que c'était à l'occasion du retour de Idir en Algérie. Et d'ajouter: «Idir était ému de voir la maison de Matoub transformée en musée! à cette occasion, Idir m'a fait savoir, en voyant le cahier de poésie de Lounès, que ce dernier lui avait écrit un texte pour une chanson sortie en 1993 et qu'il détenait encore chez lui une bande de deux chansons inédites de Matoub Lounès». Bien entendu, il ne s'agit là que de la partie visible de l'iceberg de l'amitié sans faille entre Matoub et Idir. Le nombre de fois où ils ont partagé la scène est également un élément à ajouter au compte de ces liens solides et inénarrables. Pourtant, les deux hommes avaient incontestablement des caractères et des tempéraments complètement différents. Mais dans le fond, ils avaient les mêmes convictions et les mêmes aspirations. C'était donc une amitié complémentaire et enrichissante qui unissait les deux hommes parmi ceux qui ont le plus marqué l'histoire artistique et militante de l'Algérie de manière générale et de la Kabylie de manière particulière. Idir a rejoint Matoub. Et cette fois-ci, c'est Matoub qui l'accueillera dans l'au-delà comme Idir l'avait fait en 1978, en l'accueillant dans l'arène artistique. Matoub réservera, sans doute, à Idir le même accueil chaleureux.