«Si quatre murs m'enserrent, Si je ne vois que l'échafaud, Si la misère m'aspire, Et si mon chemin est une pente au gouffre, Que l'on me dise: où crois-tu aller? Je clamerai: Je suis Amazigh.» Il y a exactement cinquante-cinq ans, jour pour jour, naissait Matoub Lounès au village Taourirt Moussa. Qua-rante-deux ans plus tard, l'Homme est assassiné. Mais, le poète, l'artiste et le mythe sont restés pour l'éternité. Aujourd'-hui, presque treize ans après le fatidique 25 juin 1998, Matoub Lounès demeure une légende dans les quatre coins de la Kabylie et même dans plusieurs régions d'Algérie. En tant qu'artiste, sa notoriété n'a pris aucune ride surtout qu'il s'est spécialisé dans le style châabi. Ce qui fait que, même quand on ne comprend pas ses textes, on est subjugué par sa voix gutturale et par les musiques du châabi qu'il a révolutionnées, particulièrement depuis 1991 avec la sortie de son premier album 100% chaâbi. Matoub Lounès est certes, beaucoup plus connu en tant que militant téméraire, anarchiste et anticonformiste, ayant passé toute sa vie à rejeter les ordres établis et les croyances insipides et abrutissantes mais, pendant ce temps-là, en dépit de l'énergie et du temps que lui prenait son combat contre le parti unique et pour la reconnaissance de sa langue amazighe, Matoub n'a aucunement négligé son parcours d'artiste et de poète qui était en vérité sa seule raison d'être. Matoub avait l'art dans les veines. Bien avant la sortie de son premier album en 1978, il avait déjà écumé une grande partie des villages de sa région avec sa voix qui était aussi atypique que sa façon rare d'interpréter les chansons. En 1978, Matoub Lounès avait à peine vingt-deux ans. Il décide d'enregistrer son premier album. Et qui fera confiance à ce jeune montagnard, impulsif et ayant les nerfs à fleur de peau, encore inconnu au bataillon et qui n'était prêt à faire aucune concession sur ses principes? C'était un certain Idir qui était déjà au firmament de sa gloire. Ce dernier prenait un grand risque en associant sa voix à un novice qui allait produire son premier album. Mais Idir avait le flair de la musique. S'il a accepté d'épauler Matoub et d'aller encore plus loin en réalisant un duo avec lui, c'est qu'il avait détecté en lui un futur king de la chanson kabyle. Peut-être ne pensait-il pas que Matoub allait arriver aussi loin, mais il a eu le mérite d'avoir encouragé un chanteur dont la candidature a été rejetée plus d'une fois par la célèbre émission «les chanteurs de demain» que diffusait la Chaîne de la radio kabyle (chaîne II). «Je ne veux plus voir ce nom sur la liste des candidats», avait crié à l'époque l'animateur de cette émission à la figure juvénile de Ouazib Mohand Améziane, un autre grand chanteur. Ce dernier, qui nous a confié ce témoignage, nous a précisé, qu'il avait tout fait pour que Matoub se produise dans cette émission. Mais Matoub avait-il vraiment besoin d'un visa bureaucratique quand on sait que dès la sortie de son premier album, un séisme a eu lieu sur toute la scène de la chanson kabyle? Matoub Lounès a surpris tout le monde. Une voix étrange, n'eut été sa succulence, à laquelle le public n'était pas habitué, mariée à des musiques qui n'avaient rien à voir avec le ronronnement monotone de l'époque, inspirées souvent par la chanson orientale, ajoutées à des textes plus qu'osés, ont fait de Lounès, un cas à part. Dès sa première production, qu'il a intitulée symboliquement «A Yizem», Matoub avait donné le ton. Bien que jeune, il ne loue pas la beauté de la femme, ayant sans douté compris, très à l'avance, que cette dernière était loin d'être un objet à décrire. Matoub, malgré la fermeture médiatique et un programme scolaire qui ne faisait même pas une infime allusion à l'amazighité de l'Algérie savait tellement de choses. A ce jour, tous ceux qui ont écrit sur lui n'arrivent pas à trouver l'origine de cette prise de conscience prématurée. Pourtant, dès ses tout premiers albums, Matoub Lounès clamait déjà, envers et contre tous: «Si quatre murs m'enserrent, Si je ne vois que l'échafaud, Si la misère m'aspire, Et si mon chemin est une pente au gouffre, Que l'on me dise: où crois-tu aller? Je clamerai: Je suis Amazigh».