«Il n'y a presque plus de contacts avec les autres compagnons, comment voulez-vous qu'il y ait une stratégie dans un sens ou dans un autre ? Personnellement, je ne suis pas intéressé par les élections...» Deux ou trois tours autour de la vieille placette de Médéa et nous voici dans la petite herboristerie de Benhadjar. Romarin, thym, absinthe, halba, origan, laurier, lavande et nigelle encombrent les étagères. La clientèle afflue et l'on ne peut se tenir à trois dedans. Le grand rouquin qui conseille telle herbe pour telle maladie est bien Ali Benhadjar, l'homme le plus recherché par les GIA de 1995 à 1999. Avec sa large kachabiya, son langage mesuré, il donne l'air d'un vénérable herboriste, et aucun ne peut reconnaître en cet homme l'ancien élu FIS à Tamezguida, ancien directeur d'école et chef parmi les chefs des premiers groupes armés, dès 1992. En 1995, il fait scission avec le GIA, dénonce ouvertement ses horreurs et crée, en 1997, son propre groupe armé, la Ligue islamique pour la daâwa et le djihad (Lidd). A la tête de quelque 150 hommes, il annonce une trêve unilatérale, après des accords avec l'armée, et intègre les dispositions dont a bénéficié l'AIS. Durant plusieurs années sa tête a été mise à prix par Djamel Zitouni, d'abord, (qui fut tué dans une embuscade tendue par les hommes de la Lidd, le 16 juillet 1996), puis par Antar Zouabri, furieux de voir Benhadjar faire scission et le narguer au coeur même de la Mitidja. C'est cet homme qui nous parle aujourd'hui: «On parle beaucoup des élections, des tractations pour désigner un candidat qui bénéficierait de notre appui (AIS et Lidd, ndlr), du congrès de l'AIS, le 13 janvier courant à Jijel, etc. Je ne sais quoi dire. la presse se plaît à inventer tellement de choses... Tiens, on m'a même fait dire que je contestais les attitudes de Madani Mezrag, avec lequel je serais entré en conflit, etc. Mais rien de tout cela n'est vrai. Il n'y a pas de congrès de l'AIS, ni de choix d'un futur candidat pour les élections, ni rien de semblable. L'AIS comme la Lidd se sont autodissoutes, c'est fini et on n'en parle plus. Moi-même, je parle au nom de qui? En fait, je ne représente que moi-même, quand bien même je jouirais encore de l'estime des hommes que j'ai pu représenter un jour. Le contexte aussi bien national qu'international est défavorable à toute action islamiste. Je ne peux m'aventurer dans une impasse politique dont l'issue est, d'avance, imaginable. Il n'y a presque plus de contacts avec les autres compagnons, comment voulez-vous qu'il y ait une stratégie dans un sens ou dans un autre. Personnellement, je ne suis pas intéressé par les élections...» Il s'interrompt pour répondre à des salutations et conseiller à un vieil homme de prendre du «arâr» pour ses maux de gorge. Et la concorde? On en est où? «C'est à vous de me dire où on en est... De notre côté, nous avons déposé les armes et fait tout ce qui nous a été demandé. Aux autorités de faire preuve de compréhension, de faire appliquer les autres accords.» A propos des accords, nous demandons quel en est le contenu, les grandes lignes ou du moins les principaux traits. «A mon avis, il n'y a pas d'accords écrits ou consignés dans un PV entre l'AIS et l'armée. Il y a eu, certes, des engagements de part et d'autre, mais rien n'a été solennellement consigné, que je sache». Ces engagements des autorités concerneraient-ils la réinsertion sociale des trévistes? «Oui, mais pas seulement cela. Il a été question de rétablir les licenciés dans leurs poste de travail, d'indemniser les familles victimes de la tragédie, toutes les familles, de part et d'autre, de régulariser la situation administrative des familles, etc. Imaginez qu'il existe des dizaines, des centaines de femmes dont le mari ou le père est mort et qui veulent se (re) marier, après, toutes ces années, mais ne le peuvent pas, parce que l'état civil n'a délivré, à ce jour, aucun document attestant le décès de ce tuteur». Ali Benhadjar répond encore aux gens qui le sollicitent et aux salutations, nous parle encore des GIA et du contexte géopolitique actuel avant de regagner son herboristerie. Parmi les chefs de l'AIS (dont la Lidd est partie prenante) il reste celui qui compte le plus pour Abassi Madani, celui qui jouit encore d'une certaine crédibilité auprès des diverses tendances islamistes.