Par Pr Mustapha Taïeb* Citoyen algérien Lambda, confiné, je me retrouve comme tout le monde confronté à une première épreuve, cloîtré dans l'intimité de mon foyer et de ma solitude. Cauchemars, asthénie, dépression matinale et irritabilité sont mon quotidien. Ce sont les effets du confinement, me dit-on...Complètement noyé dans un univers onirique d'où il me tarde d'en sortir. Des interprétations délirantes me traversent et perturbent mon esprit. Le monde est à genoux. L'homme, superprédateur, se trouve être à son tour une espèce menacée. Cet univers apocalyptique, sujet qui fascine et excite l'imagination, très présent au cinéma, n'a plus rien d'anecdotique. Notre société va-t-elle disparaître? Comment nous, à titre personnel, parviendrions-nous à y survivre? A quoi ressemblerait le monde si un bouleversement d'envergure devait survenir? Je suis submergé par un terrible sentiment: la peur du lendemain...Je suis seul devant ma télé à zapper entre les différentes chaînes de télévision, à scanner un déluge d'alertes et d'informations. L'Internet et les nouvelles technologies de la communication multiplient de manière considérable et exceptionnelle l'échange d'informations. Le phénomène des fake news dépasse l'entendement et circule, semble-t-il, six fois plus vite que l'information vraie. Des avis, des impressions comme des jugements, des critiques comme des reproches, tout m'est servi avec une assurance de mandarin. Les donneurs de leçons se démultiplient aussi vite que le coronavirus lui-même. Dissimulant failles et limites, ils ne doutent absolument pas de leurs «savoir et expertise».Tout type de média y passe! Je suis seul et je suis fâché. Probablement parce que je me sens seul et impuissant, mais surtout parce que tout ce que je vois et lis, m'inquiète et me fâche. Personne n'est susceptible de m'orienter dans ces dédales de l'information. Que savons-nous de cette pandémie? Mes frayeurs certainement irraisonnées, maladroitement maîtrisées, et succombant à une curiosité scientifique justifiée, je décide de m'immerger complètement dans les affres de cette effrayante épidémie de coronavirus. Il me fallait relever ce défi pour assouvir ce besoin viscéral d'apprendre et surtout de comprendre. Il me faut absolument privilégier la connaissance à «l'opinion»! S'ouvrira alors, à moi, ce privilège d'écouter les spécialistes manier leurs concepts, et recueillir la quintessence de leurs travaux. Parler de science, c'est expliquer les conclusions, sans occulter les hésitations, les questions ouvertes, les impasses, les débats où se déchaînent les passions. Chaque soir, le décompte macabre des décès provoqués par la pandémie de Covid-19 nous est rapporté de manière affreusement machinale et déshumanisée. La sinistre compilation quotidienne, des nombreux morts par les spécialistes est souvent suivie par des extrapolations de calculs statistiques et de divers scénarii plus macabres les uns que les autres. Il est vrai qu'il n'est pas facile de s'acquitter au mieux de cette tâche. Les mots se dérobent et me semblent tous inappropriés. Prononcer la phrase «il est mort» constitue un déchirement parce qu'elle clôt définitivement tous les espoirs, même les plus fous. Le nombre de décès, les chiffres, les recueils de données, sont distillés de façon automatique et implacable en évoquant la densité de population, le système de santé, la manière de compter les décès, l'intensité de mesures à prendre. Rien, absolument rien ne filtre sur les morts, sur leurs familles...En fait, il ne s'agit que de données statistiques et rien que cela! Les défunts atteints du covid-19 font l'objet d'une mise en bière immédiate. Cela signifie que les proches ne peuvent pas voir le défunt. Les cérémonies funéraires dans les cimetières sont limitées à quelques personnes. Malgré la douleur, les proches doivent respecter les règles sanitaires. Cruelle réalité. Un deuil difficile Je me rappelle, alors, de cette cinglante assertion: «À la guerre on accepte les morts!!» Comment faire son deuil en cette période de confinement? À la souffrance des victimes s'ajoute la détresse de leurs proches. Les malades du Covid-19 meurent souvent étouffés. Ils ne partent pas sereinement et leur famille le sait. Pour ceux qui perdent un proche des suites du coronavirus à l'hôpital, à domicile, chaque deuil est unique, mais surtout bouleversé par les restrictions aux déplacements et aux rassemblements imposées par les autorités en vue de limiter la progression de l'épidémie de coronavirus. D'ailleurs, chez les proches et dans les familles, on souffre davantage de frustration et, pour certains, de difficulté à «faire son deuil». En dépit de cette absence de compassion, de présence, je n'ai pas souvenir d'un quelconque dispositif d'écoute et de soutien psychologique ou spirituel pour toutes ces familles meurtries. Je sais que ces personnes seront seules dans leur détresse et que le deuil va être très difficile. Je suis bouleversé, je me sens si impuissant.Une grande pensée à tous toutes les victimes de ce scélérat virus et à leurs familles... Au creux de la vague, l'espoir est la bouée qui empêche de couler. «Tout homme a besoin de s'attacher à une bouée spirituelle ou superstitieuse, tourmenté qu'il est par le mystère de l'inconnu, notamment du secret de la mort.» Quels risques courons-nous à la sortie du confinement? «À quelque chose, malheur est bon», dit-on...Les humains confinés, la nature reprend petit à petit ses droits. Aux premiers jours du confinement, les habitants des grandes villes ont redécouvert avec bonheur le gazouillis des oiseaux. La baisse du trafic routier et aérien a provoqué une diminution de la pollution sonore dans de nombreuses capitales. La présence humaine réduite est bien ce qui amène des animaux à s'aventurer dans les villes. Le confinement pourrait favoriser le cycle de reproduction de nombreuses espèces. De plus, la baisse de la pollution atmosphérique, sonore et lumineuse pourrait réduire le stress et faciliter les migrations chez les animaux. Pour le scientifique, «le phénomène le plus important est peut-être que notre attention pour la nature change: les personnes confinées réalisent à quel point la nature leur manque». Cloîtré chez soi, à sa fenêtre ou dans son jardin, chacun dispose de plus de temps pour observer la nature et la redécouvrir. Pouvoir politique versus scientifique Plus que jamais, l'homme a pris conscience que l'effort de recherche scientifique conditionne, aujourd'hui encore plus qu'hier, son avenir. Lorsque le pouvoir se tourne vers le savoir, c'est pour parer son action des atouts de la rationalité. Si gouverner est bien prévoir, un minimum de savoir est nécessaire, sinon, la prévision s'apparente à un pari. Les crises sanitaires aiguës ont cette vertu de nous éclairer sur ce qu'il peut en être du rapport entre le scientifique et le médical d'une part et, de l'autre, le politique et l'exécutif. La progression de l'épidémie de Covid-19, à laquelle le monde est aujourd'hui confronté, offre, de ce point de vue, d'innombrables exemples de ce qu'il peut en être de cette relation entre le savoir scientifique, l'évaluation des menaces et la gestion de la situation dans une optique de réduction des risques. À ce titre, son bon fonctionnement, souvent élaboré dans l'urgence, est un rouage essentiel à la bonne mise en oeuvre, collective, des possibilités thérapeutiques disponibles.La partie pensante de nos sociétés ne peut nier le juste droit qu'à la médecine à une plus grande influence et les médecins à une meilleure position sociale. Que sont-ils aujourd'hui? On oublie souvent leurs travaux, leurs sacrifices. Bien réussir le déconfinement L'inévitable déconfinement est alors envisagé et d'emblée les écolo-septiques nous interpellent vigoureusement: «Il y aura un besoin de nature, et une surfréquentation qui peut être délétère pour la faune et la flore.» « Dès que nous reviendrons à la normale, il est certain que nous retournerons très, très rapidement à la situation que nous connaissions avant.» Cet indispensable déconfinement ne peut se faire à marche forcée, prenant le risque de ne pas réunir les conditions de sécurité sanitaire. À ce jour, aucun spécialiste, toutes disciplines confondues, n'est en mesure de certifier que l'on vivra dans une «zone» entièrement assainie. Les garanties sanitaires tant espérées et réclamées par les politiques restent vaines et hypothétiques. Les conditions doivent être réunies pour le déconfinement, celui-ci ne peut se faire qu'à l'issue d'un travail collectif préparatoire, dans le strict respect du protocole sanitaire. La priorité est la santé et la sécurité des populations. Une 2e vague épidémique est possible. La levée du confinement permettra de nouveau les contacts entre individus, alors que l'immunité collective, seule capable d'empêcher la propagation du virus, est faible, voire très faible.L'immunité collective ne peut être obtenue que de deux façons: par la vaccination à large échelle ou naturellement, à la suite de l'exposition au virus d'une grande partie de la population. La reprise des échanges aériens et maritimes et l'arrivée de personnes contaminées risquent d'être une source majeure de contamination. Une nouvelle augmentation du risque de contagiosité est à craindre sauf mesures de prévention adéquates. L'homme sera violemment propulsé dans une ère résolument numérique, ou l'impensable cloisonnement social sera pérenne. Pas de contact, aucun contact, télécinéma, télétravail, télé-achat, autant de contraintes qui, inéluctablement, vont nous pousser à nous réinventer, à réinventer de nouvelles pratiques sociétales. Il ne nous sera plus possible de pouvoir participer à la vie sociale, par ces mises à l'écart prolongées. Isolement, rupture, repli sur soi, on finira par, complètement,se «désocialiser»...Tout échange avec l'Autre sera limité, voire absent. Soyons optimistes L'atmosphère est loin d'être sereine ces dernières semaines. Certains espoirs s'éloignent du côté d'éventuels traitements du coronavirus, alors que les données macro-économiques apportent plus souvent de mauvaises surprises que d'instants de répit. La situation «s'aggrave» dans le monde, selon l'OMS. Six mois depuis le début de la pandémie, la situation en Europe s'améliore, par contre elle s'aggrave dans le monde. Nos connaissances concernant ce virus restent parcellaires. Il est impossible de prévoir aujourd'hui combien de temps dureront l'épidémie en Algérie et la pandémie au niveau mondial. La pandémie pourra durer aussi longtemps qu'on n'aura pas trouvé un vaccin ou un médicament très efficace. Il est raisonnable de croire que ce virus s'est installé dans la durée et y restera même lorsque la pandémie sera terminée. Il est donc essentiel que les gens respectent les mesures de sécurité décrétées par les autorités en limitant leurs contacts sociaux et en évitant à tout prix de contaminer d'autres personnes et ce même s'ils se sentent en pleine forme. En somme, on n'a pas de réponse pour l'instant à cette question complexe, mais des pistes et des espoirs. En attendant, le respect des mesures préventives est essentiel pour contrôler au maximum la propagation. *Chirurgien